Dossier Maurice Rollinat |
MAURICE ROLLINAT CHANTRE DE LA NATURE VU PAR SES CONTEMPORAINS |
Recherche documentaire
non exhaustive, réalisée par Régis Crosnier.
Version au 24 mai 2024.
– T[imothée] Colani
Le Courrier littéraire n° 5 du 10 mai 1877, pages 198 à 205.
Article « Quinzaine littéraire ».
[Présentation du livre Dans les brandes de Maurice
Rollinat.]
(page 200)
(…)
– Lettre de Louis Ratisbonne à Maurice Rollinat, datée du 4 juin 1877. Publiée par Émile Vinchon dans La vie de Maurice Rollinat, Documents inédits (Laboureur & Cie imprimeurs-éditeurs, Issoudun, 1939, 337 pages), pages 75 et 76.
(page 75)
Une dédicace à moi (1) au milieu de ces pages vivaces en tête d’une des plus saines églogues de ce recueil si original, c’est une surprise et une attention charmante de votre part et qui m’a bien touché.
Me voilà plus intéressé encore au succès de ce livre puisé par un artiste à la grande source de la nature et de la vérité, en attendant non sans appréhension, je l’avoue, vos démons et Les Névroses ! La dernière pièce : « Où vais-je ? » nous y prépare.
Je dois être hideux
Tant je ricane !
vous écriez-vous avec quelque satisfaction. Moi, je vous trouve charmant quand vous souriez. Recevez avec mes vœux, cher poète, un bon et cordial serrement de main.
Louis Ratisbonne.
(1) Il s’agit du poème « Les Gardeuses de boucs », dédié à Louis Ratisbonne. La 1re édition de Dans les Brandes portait des dédicaces qui furent supprimées dans les éditions suivantes.
– Lettre de Leconte de Lisle à Maurice Rollinat, non datée mais de 1877, année de parution du livre Dans les Brandes. Publiée par Émile Vinchon dans La vie de Maurice Rollinat, Documents inédits (Laboureur & Cie imprimeurs-éditeurs, Issoudun, 1939, 337 pages), page 77.
Monsieur,
Je vous remercie de l’aimable attention que vous avez eue de m’adresser votre livre. Je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt. Vos paysages sont d’un sentiment très vrai et d’une exécution fort habile et fort originale.
Croyez, Monsieur, à mes meilleurs sentiments de confraternité.
Leconte de Lisle.
– Théodore de Banville
Le National du 19 juin 1877, page 3.
« Feuilleton du National du 19 juin 1877 – Revue dramatique et
littéraire ».
Parmi les innombrables volumes de vers qui éclosent chaque jour (et c’est notre gloire incontestable que tant de Français aspirent à crever de faim, pour le seul amour du vert laurier !) en voici un intitulé Dans les Brandes, Poëmes et Rondels, qui me semble révéler un poëte véritablement fort. Ce livre est nettement, solidement écrit, en bon français, par un artiste qui sait à fond la langue de Rabelais et la langue moderne, et qui, chose rare, connaît assez de mots et de tournures pour ne jamais tomber dans le lieu commun. Fils du Rollinat qui fut un des meilleurs amis de l’auteur de l’Indiana, et à qui sont adressées plusieurs des Lettres d’un Voyageur, M. Maurice Rollinat, ardent naturaliste, est beaucoup l’élève de George Sand, qui, l’ayant connu et aimé petit enfant, lui a appris à bien voir et à bien connaître les poétiques paysages du Berry. Les aspects, les bruits, les silences, la vie murmurante des solitudes, les travaux des champs, les intéressantes figures provinciales ont été étudiés, peints d’après nature par ce poëte qui n’a copié aucun livre, et qui ne travestit pas nos campagnes de France d’après Horace et Virgile. (…)
Remarque de Régis Crosnier : Si Théodore de Banville évoque « l’élève de George Sand, qui, l’ayant connu et aimé petit enfant, lui a appris à bien voir et à bien connaître les poétiques paysages du Berry », il ne faut pas oublier le rôle joué par le père de Maurice, François Rollinat, qui lors des vacances dans la maison de campagne de Bel-Air, à Ceaulmont, a appris à son fils à aimer la nature. D’ailleurs, de très nombreux poèmes de Dans les Brandes sont inspirés par cette partie du Berry. Dans le poème « A travers Champs » (page 15), Maurice Rollinat écrit : « (…) Là, fuyant code et procédure, / Mon pauvre père, chaque été, / Venait prendre un bain de verdure, / De poésie et de santé. (…) »
– Le Petit Parisien du 17 juillet 1877, page 3.
Rubrique « Causeries d’un liseur » (non
signée)
Dans les Brandes, poèmes et rondels, par Maurice Rollinat, Sandoz et Fischbacher, éditeurs. – Voulez-vous connaître ces coteaux du Berry, coteaux abruptes, couverts de brandes, qui, desséchés par le soleil et crevés par les roches, vont baigner leurs pieds dans les ruisselets des vallées, bordées de saules et de vergnes ?
Suivez le poète, il va vous en décrire, dans des vers imprégnés d’un vrai sentiment de la nature, et les sentiers perdus et les hôtes habituels.
Dans les brandes chante la bergère, la petite couturière passe d’un pas hâtif eu allant à l’ouvrage, le chien braconne, les gardeuses d’oies bavardent, l’âne ronge placidement les chardons, la vache broute l’herbe sèche. le bœuf accroupi songe, le taureau mugit.
Le facteur rural apparaît sur la cime.
Par la traverse et par la route,
Il abat kilomètres et lieues.
Le garde champêtre découpe sa silhouette sur le ciel bleu. On y rencontre le chasseur en soutane, ami de Rabelais,
Le grand curé sec et rustaud
Qui, pour s’en aller chasser tôt,
Dit sa messe dès l’aurore.
On y entend le chant des perdrix rouges, les cris des insectes, les bruissements du feuillage. – Suivez le poète, dis-je, et vous aurez une senteur rustique de ces coteaux parfumés de thym et de genêt qui ont fait éclore les poésies de M. Maurice Rollinat.
Mais évitez de prêter l’oreille aux accents tristes, souvent douloureux du poète. On sent qu’il y a une amertume dans sa vie, mais pourquoi en voiler des fleurs si fraiches ?
– Émile Blémont (nom de
plume de Léon Émile Petitdidier)
Le Rappel du 4 novembre 1877, page 3.
Rubrique « Les livres ».
M. Maurice Rollinat publie un recueil de Poèmes et Rondels, Dans les brandes. C’est sa première publication poétique, et elle le classe fort honorablement. La majeure partie du volume se compose de paysages du Berry et de scènes berrichonnes. Nous avons surtout remarqué le poème intitulé : A travers champs, et le rondel intitulé : Convoi funèbre. Ce qui caractérise l’originalité de M. Rollinat, c’est un sentiment vif et sincère de la nature, une curiosité un peu morbide de sentiments et de sensations point vulgaires, et une habileté de virtuose dans les plus étranges naïvetés de l’hallucination.
– Albert Delpit
Paris du 4 décembre 1882, pages 1 et 2.
« Notes sur Paris ».
(page 1)
(…)(page 2)
(…)
– E. Bonnet
Beaumarchais du 18 mars 1883, pages 6 et 7.
Article « Rollinat & Les
"Névroses" ».
(page 6)
(…)Y relevât-on quelques taches, telles que l’essoufflement
manifeste que décèle La sensitive jolie et l’ennui qui guette
en tapinois, dans le Cœur guéri, où le poète est vaincu par
la rime, telles que le maniérisme de Rivière dormante, le saule qui
s’incline comme un vieux à confesse dans le Petit Lièvre, la
bassinoire qui promène l’été dans les Vieilles haies, l’air
fantomatisé du Val des marguerites ; il n’en demeure pas
moins constant que toute cette partie du volume est un recueil de haute
saveur. Peu de choses sont à mettre, dans la littérature moderne,
au-dessus de la Biche et de les Petits fauteuils. Et quelle
adorable musique ; ces vers ont du être ciselés en chantant. J’admire
et suis heureux de le dire.
(…)
(page 7)
(…) Et combien je lui préfère la radieuse sérénité des vrais poètes de laquelle approche M. Maurice Rollinat dans bien des pièces des Refuges, où nous aimerons à le relire, et où il est naturaliste dans le sens aimable et vrai du mot.Remarque de Régis Crosnier : Lorsque l’auteur écrit « et ce Paysage d’octobre, un vrai Th. Millet, » à qui pense-t-il ? Il s’agit vraisemblablement de Théodore Millet (1853 – 1904). À moins qu’il ait voulu parler du peintre Jean-François Millet (1814 – 1875), dont les tableaux champêtres pourraient parfaitement illustrer des poèmes de Maurice Rollinat ?
– C. Lavenir
La Revue lyonnaise de mars 1883, pages 289 et 290.
« Bibliographie ».
(page 289)
(…)LES NÉVROSES, par Maurice Rollinat. – Charpentier éditeur, Paris, 1883
(…)
(page 290)
Heureusement il y a : Les Refuges, cette
première partie que plus haut je séparais nettement du reste du volume.
C’est une galerie de tableaux, d’esquisses, de
pastels, d’eaux-fortes champêtres du charme le plus exquis. Là M.
Rollinat ne cherche plus à imiter personne, il est lui-même, et je lui en
fais mon bien sincère compliment. La nature, cette grande enchanteresse, l’a
merveilleusement inspiré. Il s’est servi avec bonheur de plusieurs
vieilles formes de vers français. Qu’on lise la Ballade de 1’Arc-en-Ciel,
celle de la Reine des Fourmis et du Roi des Cigales, celles du Vieux
Baudet, de la petite Rose et du petit Bluet, des Lézards
verts, des Nuages, du Châtaignier rond, des Barques
peintes ; la villanelle du Soir, celle du Ver de terre,
on est captivé par cette poésie émue, pénétrante. Quelles délicieuses
bluettes aussi que ces courtes pièces : Les fils de la Vierge,
le Liseron, les Pâquerettes, la Petite souris, la Mort
des Fougères. Quels tableaux achevés que : Les Roses, les
Grives. Je m’arrête, parce qu’il faudrait presque tout citer.
(…)
– Anatole France
L’Univers illustré du 21 avril 1883, page 242
(deuxième du numéro).
« Courrier de Paris » signé
« Gérome » (pseudonyme utilisé par
Anatole France).
(…) – Le poète Rollinat et les Névroses. – (…).
A côté de cela, d’autres morceaux exquis de douceur, de poésie voilée, chantés sur une musique plaintive et mélancolique, appropriée aux paroles, dénotant une connaissance extraordinaire de la nature dans ses manifestations les plus grandioses et les plus farouches, comme par exemple le Taureau et la génisse, où l’on oublie le côté bestial et érotique pour ne plus voir que la grandeur du cadre.
C’est du Rosa Bonheur, disait M. Camille Doucet
émerveillé.
(…)
Remarque de Régis Crosnier : Camille Doucet (1812 – 1895) est un auteur dramatique et un poète. Il a été élu à L’Académie française en 1865. Rosa Bonheur (1822 – 1899) est une artiste peintre et sculptrice qui s’est fait connaître grâce à la peinture animalière. « Proche du réalisme des peintres animaliers et de l’observation directe, sa croyance dans l’âme animalière se traduit dans toutes ses toiles par une extrême attention portée au regard des bêtes. (…) ce qu’elle aime : célébrer les animaux et décrire dans son style réaliste les travaux des champs et la vie rurale en France. » peut-on lire sur sa fiche figurant sur le site de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur.
– Marie Krysinska
L’Impartial du 2 mai 1883, page 1.
« Silhouettes – Maurice Rollinat ».
(…)
Il a tourné ses yeux vers la Nature – que Baudelaire,
cet amer isolé en lui même, n’a jamais vue – il y désaltère ses
fièvres de malade d’Idéal, il y endort ses nostalgies ; et sa
mélancolie s’y angélise et se distille en vers d’une incomparable
beauté.
Et il la regarde avec des yeux si remplis de tendresse, que nul détail ne lui échappe.
C’est de la miniature impressionniste par la magie du langage à la fois suggestif et précis :
LA SAUTERELLE
Sa tête a l’air d’être en bois peint,
Malgré ses mandibules moites ;
Elle a l’œil gros comme un pépin.
Pareille aux bêtes en sapin,
Mouton, cheval, bœuf et lapin,
Que les enfants ont dans des boîtes,
Sa tête a l’air d’être en bois peint,
Malgré ses mandibules moites.
La toute petite grenouille
La regarde et croit voir sa sœur,
Au bord du pacage qui grouille
De fougères couleur de rouille.
Dans sa rigole où l’eau gargouille,
Sur son brin de jonc caresseur,
La toute petite grenouille
La regarde et croit voir sa sœur.
Elle habite loin des marais,
Sous la feuillée, au pied du chêne ;
Dans les clairières des forêts,
Sur le chaume et dans les guérets.
Aux champs, elle frétille auprès
Du vieil âne tirant sa chaîne ;
Elle habite loin des marais,
Sous la feuillée auprès du chêne.
Quand le soleil a des rayons
Qui sont des rires de lumière,
Elle se mêle aux papillons
Et cliquette avec les grillons ;
Elle abandonne les sillons
Et les abords de la chaumière,
Quand le soleil a des rayons
Qui sont des rires de lumière.
Son chant aigre est délicieux
Pour l’oreille des buissons mornes.
C’est l’acrobate gracieux
Des grands vallons silencieux.
Les liserons sont tout joyeux
En sentant ses petites cornes ;
Son chant aigre est délicieux
Pour l’oreille des buissons mornes.
Mais ce miniaturise devient un peintre formidable dans : La Vache au Taureau :
A l’aube, à l’heure exquise où l’âme du
sureau
Baise au bord des marais la tristesse du saule,
Jeanne, pieds et bras nus, l’aiguillon sur l’épaule,
Conduit par le chemin sa génisse au taureau.
Compagnonnage errant de placides femelles,
Plantureuses Vénus de l’animalité,
Qui, dans un nonchaloir plein de bonne santé,
S’en vont à pas égaux comme deux sœurs
jumelles.
Si le pis est pesant, les seins sont aussi
lourds,
L’une a les cheveux drus, l’autre les crins
opaques,
Et leurs yeux sont pareils à ces petites flaques
Où la lune projette un rayon de velours.
Aussi, rocs et buissons, les chênes et les
chaumes
Semblent leur dire, émus de cette humble union,
Qu’en ce jour c’est la fête et la communion
Des formes, des clartés, des bruits et des
aromes.
Et quel prodigieux symphoniste que ce peintre-poète.
Comme la musique de ces vers est l’harmonie même du paysage, et comme il y flotte du vent parfumé et de l’air bleu, sur les ailes des mots évocateurs.
Mais son âpre mélancolie le harcèle parfois comme un mal incurable ; alors la Nature subit la contagion de cette belle âme torturée.
Elle devient comme lui, convulsée, hagarde et fantastique.
Et comme un criminel
Le nuage se sauve,
Gris et mauve
Dans le ciel.
De l’eau plate qui dort
Dans la terre,
Noire et plus solitaire
Qu’un renard.
Un long murmure sort,
Un long murmure austère
De mystère
Et de mort.
Je ne sais plus quel obscur critique reprochait à Rollinat d’avoir plusieurs notes très différentes, et il en concluait à l’absence de sincérité chez le poète.
C’est tout à fait comme si on trouvait que les roses
manquent de bonne foi en étant rouges, blanches ou roses, ou bien encore de
ce ton exquisement délicat, qu’on appelle le rose thé.
(…)
– Charles Buet
Revue politique et littéraire – Revue bleue, n° 14 du
6 octobre 1888.
Article « Les artistes mystérieux – M. Maurice
Rollinat », pages 443 à 448.
(page 447)
(…)
– Gustave Geffroy
Anthologie des poètes français du XIXème
siècle, Tome 3 (poètes nés entre 1842 et 1851), Alphonse Lemerre
éditeur, Paris, 1888, 413 pages.
(page 193)
(…)
– Joséphin Péladan
La décadence esthétique, I, L’art ochlocratique,
Camille Dalou éditeur, Paris, 1888, 216 pages.
Partie consacrée au SALON DE 1883
Chapitre XII. LES RUSTIQUES
(page 114)
[À propos d’un tableau de M. Jules Breton comportant
un arc-en-ciel dans un ciel d’orage]
– Jean de Nivelle (pseudonyme
utilisé par Charles Canivet)
Le Soleil du 15 février 1892, page 1.
Article « Maurice Rollinat ».
(…)
Rollinat, découragé, se retira, lorsque vinrent les
heures d’abandon, dans la campagne du Berry où, en vrai poète qu’il
était et qu’il est resté, il travailla, dans la solitude, en se
rappelant, de temps en temps, au souvenir de ses amis, par quelques poésies
remarquables, d’une harmonie toute particulière et plutôt faites pour
être intimement savourées que publiquement entendues. Car le poète est,
en quelque sorte, un confident intime de la nature, dont il chante
supérieurement les intimités, les harmonies, les métamorphoses et même,
dans les heures fréquentes de pessimisme, les horreurs fantastiques, et les
mélancoliques aspects. (…)
– Art et Critique du 20 février 1892, page 91
(onzième du numéro).
« Théâtre d’Application. – La Soirée de
Rollinat. » signé « D–x. »
(…) Le vrai Rollinat, c’est bien le poète champêtre
et sauvage, en communion perpétuelle avec la nature, à qui pas un de ses
aspects n’a échappé, et dont le vers évoque pareillement les rochers
tragiques d’un Salvator Rosa, les ciels gris et les matins moites d’un
Corot, les fleurs diaprées de bestioles d’un Breughel-le-Velours. En
fait, il me semblait recevoir, de cette série de poésies dites ou
chantées, la même impression que laisserait l’exposition de quelque
paysagiste varié et puissant, d’une technique gauche et rude, mais qui
voit net et sent profondément.
(…)
– Edmond Lepelletier
L’Écho de Paris du 15 mars 1892, page 2.
« Chronique des Livres
II. – La Nature, poésies par Maurice Rollinat. (Librairie Charpentier.)
Le poète aux savoureuses chansons rustiques des Brandes a agrandi sa vision et modulé son chant sur un ton plus haut, sur un mètre plus large. Le pipeau simplement agreste a fait place à la lyre complète où vibrent toutes les harmonies éparses du sillon, du bois, des prés, des cours d’eau, de la branche qui tremble et de l’oiseau qui s’envole.
Très peu de personnages animent ce vaste décor panthéiste. Quelques silhouettes de casseurs de pierres, de vieux pauvres qui font l’effet, par les chemins, avec leur longue barbe blanche, de patriarches anciens, le fossoyeur qui incarne le destin, en comblant tout seul la fosse de six pieds qui bâille sous la roche, sont là seulement pour marquer la place de l’humanité dans le drame naturiste. Mais au fond de l’eau diaphane où brillent les poissons d’argent, d’or, de topaze et de nacre, à la pluie vernissant les feuillages, aux branches, aux herbes qui poussent au long des pentes ravinées, annonçant le renouveau, au rocher et aussi aux animaux paisibles et gracieux, libellules, moutons, coucous, voire aux terribles ou aux hideux, vipères, crapauds, chats-huants, la pensée du poète offre la guirlande des rythmes réguliers et la corbeille des strophes égales. Il célèbre aussi les instruments qui semblent, comme le sabre du guerrier, faire partie de l’équipement de la Nature : la charrue abandonnée et sinistre et la vieille hache que ronge la rouille implacable. La hache se plaint :
Ton acharnement me confond !
Qu’es-tu donc ? – La rouille
répond :
– Je suis la vengeance de l’arbre !
L’unité, la parfaite ordonnance et la sobre tonalité de ce recueil de poèmes, tout imprégnés d’une bonne odeur de terre, et qui sont comme un épithalame discret à la Nature aimée ainsi qu’une fiancée, ne feront que confirmer la réputation déjà faite de M. Maurice Rollinat. Ce sont surtout des natures mortes qu’a peintes l’auteur, mais ces mortes-là sont pleines de vie.
– Philippe Gille
Le Figaro du 6 juillet 1892, page 6.
« Revue bibliographique – Poésie »
[Présentation du livre La Nature]
(…) M. Rollinat est bien, en effet, le poète de la nature, de la nature des champs et des forêts dont il sait rendre le charme et la vie en vers éloquents et pittoresques. Nul mieux que lui ne l’aime et il n’est pas une de ces pièces qui ne soit un tableau, qui ne rappelle un souvenir de soleil radieux, de pesantes chaleurs, de ciel orageux, de miroitement des eaux ou de frissons dans les feuillages.
– Clovis Hugues
La Petite République Française du 21 juillet 1892, page
1.
« Chronique indépendante – Maurice Rollinat »
(…)
Ah ! c’est qu’il la connaît et qu’il l’aime,
la grande et belle nature, ce rêveur dont la strophe est faite avec toute
la chanson des brises et toute la gloire des soleils !
Je me suis toujours imaginé qu’il a dû être un
oiseau avant d’être un poète. L’oiseau va, vient, effleure tout de son
aile, pose partout ses petites pattes étoilées, connaît facilement tous
les secrets de l’arbre, de l’eau, de la roche, et du brin d’herbe ;
mais il ne les connaît pas mieux que Rollinat.
(…)
Chez Rollinat, la vision a l’exactitude du fait. Le détail transparait derrière l’ensemble. Pas une bête qui se soit montrée à lui telle qu’elle est, et toute. Il sait tout ce que fait dans sa journée le plus petit animal de la création. S’il s’est réveillé à l’aube pour gambader dans les lavandes, soyez sûr que le poète est là, derrière lui, le guettant, ne perdant pas un de ses mouvements, vivant pour ainsi dire toutes les sensations qu’il vivra lui-même.
Qu’il soit demain changé en grillon : il sera
tout de suite un vieux routier dans la phalange des grillons. Donnez-lui un
nid d’hirondelle à bâtir : rien ne me prouve qu’il n’en viendra
pas à bout.
(…)
– L’Écho de Paris du 18 février 1892, page
1.
Rubrique « Échos ».
Un nouvel ouvrage de Maurice Rollinat est un évènement littéraire attendu impatiemment par le public. Aussi un grand succès est-il réservé à La Nature, son nouveau recueil de poésies, qui paraît aujourd’hui chez Charpentier et Fasquelle. Le poète des Névroses décrit en ces belles pages l’existence patiemment observée des animaux, de la terre et de l’eau.
– Gustave Geffroy
La Justice du 16 mars 1892, page 1.
« Chronique littéraire – Poésie ».
[Présentation du livre]
La Nature, par Maurice Rollinat (Charpentier et Fasquelle, éditeurs)(…) Chez Rollinat, il y a une autre observation à
faire. En même temps qu’une exacte connaissance du sol sur lequel il est
né, du pays où il habite, des paysages qu’il traverse, des gens qu’il
rencontre, il y a en lui une intelligence apte à comprendre, devant les
apparences familières, les aspects essentiels et permanents des choses, il
y a en lui une pensée creusée, attristée, anoblie, par l’obsession
persistante de la signification à jamais obscure de tout ce qui existe, par
l’idée imprescriptible de la vie et de la mort.
(…)
– Henri Schwabacher (plus
connu sous le pseudonyme d’Henri Duvernois)
La Presse du 16 janvier 1893, page 2.
Causerie littéraire ; Maurice Rollinat – « La
Nature »
(…)
Le dernier livre de Rollinat fera le sujet de cette
causerie. C’est – à mon humble avis – son chef-d’œuvre. Pas une
page, une ligne, un mot qui détonne dans cet ensemble harmonieux. Le
titre : La Nature est le seul qui pouvait convenir à ce
merveilleux ouvrage, car il le résume, prévient, de la part de l’auteur,
d’une ligne de conduite immuable et dont il ne s’est pas départi :
parler de la nature et d’elle seulement, la chanter, la glorifier dans ses
détails infinis...
L’auteur a parfaitement compris que pour élever un
édifice poétique à la gloire de cette nature, tant maudite par des
pessimistes endurcis, il suffisait de la décrire. Et c’est ce qu’il a
fait dans ces poèmes dont je vais citer quelques extraits.
(…)
Quand Rollinat parle des animaux, il fait montre à leur
égard d’une pitié attendrissante et il ne s’occupe que des faibles,
des petits, des misérables : de la taupe, du crapaud, des êtres
malheureux et méprisés à cause de leur laideur, de leurs
infirmités :
(…)
On a souvent reproché à Maurice Rollinat sa brutalité,
quand il parle de ses semblables. Ceux qui lui ont adressé ce reproche n’auront
pas été jusqu’au fond de sa pensée. Rollinat n’est pas un
misanthrope. Il plaint les hommes en général et chérit ceux qui, comme
lui, sont saisis de l’amour profond de la terre, des arbres, du ciel, les
simples, les ignorants qui s’identifient avec la nature.
(…)
Décrire, décrire simplement et communiquer au lecteur
cette émotion artistique à laquelle on reconnaît les beaux ouvrages,
voilà la marque du vrai génie. Tout inspire Maurice Rollinat, tout :
la fumée, le marais, le coucou, le grillon, l’anguille même, qu’il
décrit, dans ces vers ravissants :
(…)
– Gustave Geffroy
La Justice du 9 avril 1893, page 1.
« Chronique littéraire ».
Le Livre de la Nature, choix de poésies pour les enfants, par Maurice Rollinat, avec lettre-préface de George Sand. (Delagrave, éditeur.)
(…) Tel qu’il est, ce petit livre, composé pour les
enfants, résume fort bien la tendance d’esprit de Rollinat que je
préfère, son goût invincible de nature, un amour inné du visage de la
solitude, des aspects permanents de tout ce qui est élément à travers l’espace,
de tout ce qui existe en dehors de l’homme, de ce qui était avant lui, de
ce qui sera après lui, de ce qui l’enveloppe d’énigme, l’assaille de
mystère : le vent, le ciel, la mer, la chaleur, le froid, la pluie, la
neige, la voix de l’eau.
(…)
C’est cette voix qui est en lui. Rollinat, avec la nature d’artiste la plus fine, est avant tout un rustique imprégné de toutes les influences de force et de douceur de la campagne, des musiques de l’air et de l’eau, des arômes de la terre et des végétaux.
Sans cesse hors de chez lui, c’est pendant les longues marches aux flancs des collines, au creux des ravins, pendant les heures de pêche, au bord de l’eau lumineuse, qu’il sentit avec un sens nouveau cette âme éparse qui lui a inspiré ses poèmes. Que de fois ceux qui ont vécu auprès de lui ont eu la nette perception que cet être de bonté et de charme, si intelligent, si gai, si amusant, était vraiment le compagnon de ces arbres, l’interlocuteur de ces eaux chuchoteuses, le véritable feu-follet de ces marécages ! Combien de fois ne leur est-il pas apparu comme le solitaire-né de cette solitude, destiné à expliquer et à glorifier tout ce qui l’entourait, à porter la parole pour les humbles et les silencieux, pour les être rencontrés, silhouettes des champs et des routes, pour les animaux aux yeux expressifs, pour les végétaux fragiles, pour les lourdes pierres, pour les nuages fugitifs.
– Alcide Bonneau
Revue Encyclopédique du 15 avril 1893, pages 380 à 382.
Rubrique « Poésie ».
(Alcide Bonneau présente successivement les livres Nature
de Jean Rameau – pseudonyme utilisé par Laurent Lebaigt – et La Nature
de Maurice Rollinat ; aussi, des comparaisons sont faites entre les deux
poètes.)
(page 380)
(…)M. Jean Rameau est un descriptif, M. Maurice Rollinat est un sensitif. Le premier rend supérieurement l’aspect pittoresque des choses, le second s’efforce de pénétrer leur âme. Aussi nous charme-t-il avec presque rien, comme dans ces strophes intitulées Le Champ de blé :
Bordé d’arbres très vieux où d’une patte
alerte
Geais et piverts grimpaient en mariant leurs
cris,
Le petit champ de blé dormait sous les cieux
gris,
Triangle jaune, au sein d’une immensité verte.
(page 381)
Il était si perdu, si loin d’une maison !Bluets, coquelicots, tiges entremêlées,
Ici, là, montaient haut presque jusqu’aux
épis ;
Ailleurs, sous des chardons violets assoupis,
Le froment rabattait ses tètes barbelées.
(page 382)
Et muet et léger comme un zéphir d’étéLe recueil de M. Maurice Rollinat est comme une vaste symphonie où viennent chanter, chacune à son tour, toutes les voix de la nature, le vent, la pluie, l’eau courante :
Lorsque le vent veut s’appeler
Zéphyr ou brise,
La fleurette est pour ce berceur
Une toute petite sœur
Qu’il vient câliner en douceur
Et sans surprise.
Las de siffler et de gémir,
Certains jours, il paraît dormir :
A peine alors s’il fait frémir
La moindre tige.
Il s’endort, puis s’éveille un brin
Souffle minuscule et serein
Qui lutine au ras du terrain
Et qui voltige.
Puis, voici qu’il fait claquer la feuille et grincer les girouettes, qu’il glisse entre les volets et s’engouffre dans les corridors :
Le vent ne commence parfois
Qu’à fendre l’air en tapinois,
Qu’à gercer l’eau, tâter les toits,
Froisser le chêne,
Coucher l’herbe et raser le roc :
Il se tasse pour un grand choc
Et subitement, tout d’un bloc
Il se déchaîne.
Il met le feuillage en haillons,
Sabre les blés sur les sillons,
Prend l’herbe dans ses tourbillons,
La tord, la hache ;
Il livre même des combats
Aux vieux arbres de haut en bas,
Et quand il ne les pourfend pas
Il les arrache.
Et, toujours, par tout l’univers,
Par les continents et les mers,
Les champs, les cités, les déserts,
Passe et repasse,
Tour à tour tendre et furieux,
Ce grand souffle mystérieux :
La respiration des cieux
Et de l’espace.
Mais ce qu’il faut surtout louer chez le poète, c’est d’avoir si bien rendu la vie intense de la nature. Il ne nous la montre pas seulement sous ses aspects qui changent avec les saisons, sous la pluie, le brouillard ou le soleil ; tous ses paysages sont animés : il a des couleurs ravissantes pour nous peindre l’insecte qui rôde au-dessus de l’eau, le goujon qui frétille au fond dans le sable, le brochet en quête d’une proie ; il nous dit la journée d’une cigale et le farniente d’un escargot prudemment blotti dans la lézarde d’un vieux mur. Il peuple l’ornière du chemin creux de toute une colonie grouillante :
Dans l’ornière du chemin creux
Abandonné comme inutile,
Plus de passage dangereux.
Plus de roues aux grinçants moyeux
Broyant l’insecte et le reptile,
Dans l’ornière du chemin creux.
Le frais des coins mystérieux
Couvre la paix de cet asile ;
Plus de passage dangereux.
Tout un petit monde peureux
Y trouve donc un sort facile
Dans l’ornière du chemin creux.
Il n’oublie pas l’homme non plus, et le laboureur, la bergère, le casseur de pierres, les vieux pauvres, le cimetière du village lui ont inspiré des strophes attendrissantes.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – (pages 380 à 382) Les vers « Bordé
d’arbres très vieux (…) d’or dans l’immortalité. »
correspondent aux strophes 1, 4, 5 et 6 du poème « Le Champ de
Blé » (La Nature, pages 15 à 18). Le dernier vers est :
« Sur cette nappe d’or dans l’immobilité. » au lieu de :
« Sur cette nappe d’or dans l’immortalité. »
– 2 – (page 382) Les vers « Lorsque
le vent veut s’appeler (…) Et qui voltige. » correspondent à la
deuxième partie de la quatrième strophe et à la cinquième strophe du poème
« Le Vent » (La Nature, pages 1 à 10). Il y a des
différences de ponctuation.
– 3 – (page 382) Les vers « Le
vent ne commence parfois (…) Et de l’espace. » correspondent aux
strophes 16, 20 et 21 du poème « Le Vent » (La Nature, pages
1 à 10). Il y a des différences de ponctuation. Le dernier vers est « Ou
de l’espace ! » au lieu de « Et de l’espace. »
– 4 – (page 382) Les vers « Dans
l’ornière du chemin creux (…) du chemin creux. » correspondent
aux strophes 1, 2, 3 et 7 du poème « L’Ornière » (La Nature,
pages 193 à 198). Il y a des différences de ponctuation. Le dernier vers de la
septième strophe « Plus de passage dangereux. » a été remplacé
par « Dans l’ornière du chemin creux. »
– Jean Ajalbert
Gil Blas du 2 mai 1893, page 1.
« Sensations d’un Suspendu ».
[À propos du Livre de la Nature de Maurice Rollinat]
(…)
J’avais entrouvert le livre, mais je ne lisais point
encore, l’oreille frappée du moindre bruit qui provenait de la porte
derrière laquelle siégeait l’hermétique huis-clos… Puis voici que j’entendais
la voix de notre ami, sa voix à lui, sa musique à lui, et rien qu’à
lui, et que par une phrase retrouvée et fredonnée, je tombais en proie a
cette fascination qui est en lui, lorsqu’il parle, chante, et vous prend
pour ainsi dire à bras le cœur, vous empoigne, vous secoue par le fond de
l’âme, si brutalement, délicieusement et inoubliablement… Et voici que
je suis emporté, par tant d’amples strophes vigoureuses, rythmées d’un
souffle puissant et soutenu… Voici que se déroulent à vastes fresques
les paysages de brandes, où rôde la seule vipère sous le soleil cuisant
de midi ; des paysages de roc brûlé et de caillou où glisse la
flânerie des lézards ; des paysages violents et heurtés, adoucis par
endroits d’une mare mélancolique que hante le peuple vert des
grenouilles ; des paysages d’arbres et de fleurs aussi, traversés de
courantes rivières à truites, où sur les rives tournent les éphémères,
ronflent les libellules nacrées ; voici des torrents bruyants, et des
étangs unis comme un miroir ; le val rouge de coquelicots, où la
lande stérile et crevassée ; la bête à bon Dieu ou le vieux
bourriquot ; l’étendue déserte et le village tout retentissant des
sabots des gamins retour de l’école ; voici à travers ces pages
délicates et fortes, de la sérénité de Virgile et de l’âpreté de
Lucrèce, et voici de l’humour du terroir, comme hérité de la Fontaine…
Et c’est, ne devant rien aux autres, la personnalité de Rollinat, dans ce
Livre de la Nature, où je suis plongé maintenant :
L’âme des fougères s’envole :
Plus de lézards entre les buis !
Et sur l’étang froid comme un puits
Plus de libellule frivole !
La feuille tourne et devient folle,
L’herbe songe aux bluets enfuis,
L’âme des fougères s’envole :
Plus de lézards entre les buis !
Les oiseaux perdent la parole,
Et par les jours et par les nuits,
Sur l’aile du vent plein d’ennuis,
Dans l’espace qui se désole
L’âme des fougères s’envole…
Rollinat… Maurice Rollinat…
Le vent qui passe le plus rapide a fait au poète aux
écoutes toutes ses confidences, le plus mouvant nuage s’est laissé
percer par l’œil toujours aux aguets du contemplateur : le brin d’herbe
et le haut peuplier lui ont gémi des mots qu’ils n’avaient point
révélés à d’autres ; les eaux les plus fugitives lui ont livré
les banderoles de lumière dont elles se parent ; le soleil lui a jeté
toutes ses écharpes d’aurore et de couchant ; des rocs arides il a
jailli pour lui des sources vives, il a vu clair dans les ténèbres les
plus massives de la nuit, entendu les milliers de voix mystérieuses du
silence, et tout cela chante à présent dans sa chanson… et tout cela
chante sous mes yeux et dans ma mémoire…
(…)
Remarque de Régis Crosnier : Le poème cité en entier commençant par « L’âme des fougères s’envole : » s’intitule « La mort des Fougères » ; il figure page 34 du livre.
– Charles Canivet
Le Soleil du 11 juillet 1896, page 2.
« Feuilleton du SOLEIL du 11 juillet 1896 – Causerie
hebdomadaire ».
(…) Il est vrai que le poète [Maurice Rollinat], chez lui, étant doublé d’un musicien original, il fut lui-même son interprète. Il disait ou chantait ses vers, et il y excella. Ceux qui l’entendaient s’en allaient sous le charme ou sous l’impression immédiate, sans voir que ce poète qui voulait être macabre n’était en somme, qu’un peintre supérieur de la nature dont il sentait et rendait, en maître, tous les aspects et tous les charmes. (…)
– La Justice du 21 juillet 1896, page 2.
« Revue littéraire » (article non signé).
Un soir de l’hiver dernier, chez un ami, après dîner, quelqu’un pria une jeune fille de se mettre au piano. Ces accidents, j’ai coutume de les prévoir quand je dîne en ville et je m’y résigne paisiblement, dussé-je entendre une fois de plus la Dernière pensée ou l’Air des bijoux. Cette fois, j’eus une surprise. L’instrument fatal ne martyrisa ni Weber, ni Gounod, ni aucun des « grands classiques » ou des « petits », ni même M. Massenet ; il émit une musique simple, point savante, qui dès les premières notes m’emmena au loin, dans les vastes plaines où triomphent l’or et l’émeraude des cultures. La jeune fille chanta, d’une voix juste, un peu frêle, une romance lente et mélancolique, très courte mais évocatrice de larges horizons. C’était d’abord en ré mineur, une sorte de cantilène où planait la plus harmonieuse des après-midi de juin :
La chanson de la perdrix grise
Et la complainte des grillons,
C’est la musique des sillons
Que j’ai toujours si bien comprise.
Sous l’azur, dans l’air qui me grise,
Se mêle au vol des papillons
La chanson de la perdrix grise
Et la complainte des grillons.
Qui n’a jamais entendu dans les champs, vers la Saint-Jean d’été, alors qu’on coupe les seigles, que des transparences blondes frémissent sous le glauque des blés presque mûrs et que les avoines ondulent au soleil parmi des reflets d’acier, qui n’a jamais entendu la rumeur vibrante ininterrompue des grillons, sur laquelle la perdrix, inquiète de ses petits, plaque ses appels disyllabiques, ne percevra pas l’émotion de cette musique, la douceur de ces vers. Puis le chant montait d’un demi-ton, exprimait nuançait d’un style plus grave la misère de l’homme s’il n’avait la nature pour consolatrice.
Et l’ennui qui me martyrise
Me darde en vain ses aiguillons
Puisqu’à l’abri des chauds rayons
J’entends sous l’aile de la brise
(Ici la délicieuse note mineure reprenait, écho des tendresses nichées sous les blés)
La chanson de la perdrix grise.
C’était tout. La jeune fille fut applaudie pour sa bonne grâce, pour le charme des vers et la souplesse du musicien qui les avait si fidèlement traduits. Or, le musicien et le poète ne faisaient qu’un – vous l’avez déjà nommé – : Maurice Rollinat.
Ses romances se trouvent à présent sur tous les pupitres, elles tiennent le succès et le méritent autant par la simplicité que par l’originalité de leur facture. Elles ne s’adressent pas à des virtuoses mais aux rêveurs dont le cœur s’est ouvert aux magnificences du plein air ; il suffirait, semble-t-il, d’en prononcer les mots pour les moduler ; en tout cas, il existe entre le verbe et la note une alliance étroite qu’on ne saurait rompre sans risquer un contresens. L’auteur ne se vante pas à tort : « C’est la musique des sillons – qu’il a toujours si bien comprise. »
Non pas seulement les harmonies de la plaine, mais aussi
les aspects changeants du sol qui porte les moissons, de la rivière ou du
torrent, des fossés de la route, des collines, du ciel d’où tombent la
lumière et l’ombre, la pluie, la neige « continueuse et
tenace », il les comprend, il les traduit, il les représente avec de
curieux procédés d’imitation. Je suis certain de ne pas offenser M.
Maurice Rollinat en lui donnant l’épithète de poète rural (je lui en
proposerai une seconde par surcroît tout à l’heure) qu’il a bien
gagnée avec ses chansons, son avant-dernier poème La Nature et
celui que je viens de recevoir de la Bibliothèque Charpentier : Les
Apparitions.
(…)
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – « La chanson de la perdrix
grise » est un poème publié dans le livre Dans les Brandes (pages
216 et 217 de l’édition de 1877). Maurice Rollinat a composé une musique sur
ce texte ; la partition a été publiée en 1883, dans l’ensemble Rondels
et Rondeaux, dix morceaux de chant, paroles et musique, avec accompagnement
de piano, Paris, Henry Lemoine.
– 2 – L’expression « la neige
"continueuse et tenace" » fait référence au deuxième vers
du poème « Villanelle de la neige » (Les Apparitions, pages
191 à 195).
– Gabriel Montoya
Le Roman comique du Chat Noir, Ernest Flammarion
éditeur, Paris, 1897, 326 pages.
(page 204)
Nul d’ailleurs n’est mieux placé que Rollinat pour s’imprégner de la nature et pour la décrire avec cette vérité si puissante qu’elle touche à l’obsession. (…)
– Adolphe Brisson
La Petite Gironde du 29 mars 1898, page 1.
Article « Silhouettes et Portraits – M. Maurice
Rollinat »
(…) Nul n’a rendu avec autant d’intensité et un plus singulier bonheur d’expression l’attitude, la silhouette des animaux, des plantes, des arbres, ce qui constitue leur caractère individuel, leur essence. Les êtres surgissent à sa voix et nous donnent l’illusion de la vie. (…)
– Gustave Geffroy
Le Journal du 27 juin 1898, pages 1 et 2.
Article « Maurice Rollinat par Gustave Geffroy ».
(page 2)
(…)
– Le Petit Caporal du 30 juin 1898, page 3.
Article « Maurice Rollinat » non signé.
(…)
Oui, certes, Rollinat est un poëte de la nature, lui
seul a su comprendre et noter ce que le vent huhule aux branches ; lui,
seul, en des termes nets, précis, décisifs a su peindre l’orgueil des
grands chênes dénudés par la « saison fauve ». Lui seul, a su
mettre son âme si fervente, si religieuse, dans la mélancolie des
crépuscules, dans l’angoisse qui se dégage des brandes désolées, dans
la tendresse des jeunes aurores que mouillent les brouillards matutinaux.
Rollinat, a su comprendre et s’apitoyer sur le crapaud, le hibou, la
chouette, le cloporte, et s’il fait tintinabuler son vers en l’honneur
de la « perdrix grise », il sait aussi mélancoliquement conter
les malheurs de ces déshérités maudits et craints des hommes.
(…)
– Judith Cladel
La Fronde, mardi 28 juin 1898, page 1.
« Ceux que j’ai vus – Maurice Rollinat ».
(…) [après le départ de Maurice
Rollinat pour Fresselines] Et cela nous vaut des chants robustes et
purs, où il se montre peintre admirable de la terre, et splendide
orchestrateur du quotidien concert des symphonies agrestes. La vie des bois,
des prés, des rivières et des ravins, elle transparaît, revêtue de sa
mansuétude, cependant tragique, au rythme ingénieux de ses vers si
fortement imprégnés d’un savoureux « natalisme ». Car cette
nature c’est celle de la Creuse spéciale et physionomique, décrite avec
tant d’exacte ampleur et d’humaine originalité, que peu de coloristes
ont su capter aussi étroitement l’âme d’une contrée.
(…)
Remarque de Régis Crosnier : Judith Cladel a développé son idée de la nature chez Maurice Rollinat et a explique le mot « natalisme », dans son ouvrage Maurice Rollinat, objet de Portraits d’Hier, n° 31 du 15 juin 1910. Voir ci-dessous.
– Henry Fouquier
L’Écho de Paris du 11 août 1898, page 1.
« Une Maison de Poète » (Article
signé « Nestor », un pseudonyme utilisé par Henry Fouquier.)
(…) [À Fresselines]
Et, dans sa rustique maison de fermiers, par les chaudes
après-midi et les douces soirées, j’ai eu la joie des chansons. Rollinat
a fait cette chose peu commune : poète de la Nature, il a été vivre
en elle. Comme le paysagiste qui exécute son tableau dans la vibrante
atmosphère du plein air, les impressions qu’il fait passer en nous ne
sont même pas des souvenirs. Il les écrit, immédiates et vivantes, sous
la dictée des choses, et sous le coup de l’émotion qu’elles
éveillent. De là sa sincérité, qui lui fait une place à part, comme
poète et musicien ; parmi les poètes et les musiciens si habiles de
notre temps. Non pas qu’il ne soit habile lui-même, maître des rimes et
des rythmes. Mais son habileté ne crée pas la sensation : elle la
traduit, la sert et lui obéit.
(…)
– Lettre de Raymond Poincaré à Maurice Rollinat, datée du 15 avril 1899. Publiée dans le Bulletin de la société « Les Amis de Maurice Rollinat », n° 1 de novembre 1948, page 15.
C’est Raymond Poincaré qui, en 1895, alors qu’il était ministre de l’Instruction Publique, décora Maurice Rollinat de la Légion d’Honneur. En 1899, lorsqu’il publia Paysages et Paysans, le poète en adressa un exemplaire à Raymond Poincaré qui lui répondit ainsi :
32, rue des Mathurins
15 Avril
Merci, Monsieur, du charmant bouquet de campagne que vous m’envoyez dans « Paysages et Paysans », j’en ai respiré joyeusement le parfum sauvage, et, avec vous
j’ai tiré mon ravissement
De l’espace et du firmament.
Votre dévoué
R. POINCARÉ.
– Le Journal du 15 avril 1899, page 1.
Rubrique « Nos échos », non signée.
Maurice Rollinat est incontestablement le poète qui a su le mieux comprendre le paysan et interpréter ses sensations, ses joies et ses brutalités, sans cesser d’être l’évocateur lyrique des beautés sublimes de la nature. Dans Paysages et Paysans qui paraît aujourd’hui chez l’éditeur Fasquelle, en un volume de la bibliothèque Charpentier, il a retracé avec son talent si personnel, une foule de tableaux et de scènes d’un réalisme puissant qui vont obtenir un double succès car c’est un recueil de poésies qui non seulement seront très lues, mais seront dites partout.
Remarque de Régis Crosnier : Cet article sera reproduit à l’identique dans L’Aurore du 16 avril 1899, page 2, dans L’Intransigeant du 18 avril 1899, page 3, rubrique « Bibliographie », dans Le Siècle du 20 avril 1899, page 5, rubrique « Bibliographie », et dans L’Estafette du 6 juin 1899, page 4, rubrique « Revue Bibliographique », et dans L’Autorité du 21 juin 1899, page 3, rubrique « La revue des livres ». Fernand Rouget le reprendra pour écrire la présentation du livre qu’il a faite dans La Justice du 8 mai 1899, page 2, rubrique « La Vie Littéraire ».
– Le XIXe Siècle du 18 avril 1899,
page 1.
Rubrique « Les on-dit ».
Maurice Rollinat a publié à la Bibliothèque Charpentier un nouveau livre de vers : Paysages et Paysans. C’est le sixième, et ces vers d’arrière-saison ont la fleur d’originalité, la senteur agreste qu’on respire dans les Brandes, le premier recueil du poète, C’est que Rollinat n’a jamais bien aimé, au fond, que les champs et les bois, qu’il est retourné à la Nature, que voilà tout près de vingt ans qu’il vit eu tête-à-tête avec elle. Et il lui fallait cet amour tenace, cette longue fréquentation, jamais lassée, qui maintient son esprit dans une perpétuelle alternative d’admiration et de curiosité, pour écrire un livre comme celui qu’il nous donne aujourd’hui. Les paysans y parlent leur langue ; les paysages, sombres ou radieux, s’y reflètent avec la fidélité du ciel dans une mare d’eau vive. Nous reviendrons sur ce livre de nature et de vérité, d’un altier panthéisme, et qui étonne, à l’heure trouble où nous sommes, comme une bouche sincère, une figure sereine. – Ch. F.
Remarques de Régis Crosnier :
– 1 – Cet article a été publié à l’identique
dans Le Rappel du 18 avril 1899, page 1 ; les deux journaux
étant couplés.
– 2 – « Ch. F. » sont
vraisemblablement les initiales de Charles Frémine.
– Camille de Sainte-Croix
La Petite République socialiste du 2 mai 1899, page 2.
« Bataille artistique et littéraire par Camille de
Sainte-Croix ».
Plusieurs livres de poésie. Chez Fasquelle, les Paysages et Paysans, de Maurice Rollinat, où le puissant et charmant réaliste assemble les fruits savoureux de ses méditations rustiques, ses observations ingénieuses sur la vie des êtres et des choses en plein air, attestant, en un lyrisme beau de simplicité, sa tendresse et sa vénération profondes pour les œuvres énormes ou gracieuses, pour les phénomènes brutaux ou délicats de la Nature. A notre sens, le recueil le plus solide, le plus mûr et le plus vivant qu’ait encore publié ce maître robuste et délicieux.
– Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire
du 7 mai 1899, page 1.
Article « Au jour le jour – Paysages et paysans »
signé « E. ».
(…)
Rollinat aime la campagne ; il y vit ; il fréquente les
paysans, il cause avec eux, il les confesse et pénètre leur âme à la
fois matoise et naïve. Aussi, comme ses bonshommes sont vivants !
comme on les voit bouger, à peine déformés par un peu d’outrance et
de littérature ! comme dans ces vers pleins d’élisions, d’une
langue simple et ferme, leur parler se retrouve purifié tout juste du peu
de patois qui s’y est perpétué et nous le rendrait
inintelligible !
(…)
– Charles Canivet
Le Soleil du 15 juin 1899, page 2.
« Chronique des livres ».
[Présentation de Paysages et Paysans de Maurice
Rollinat]
(…) Rollinat reste un grand poète de la nature, et que nul ne l’a mieux sentie et traduite que lui, mais plutôt dans ses détails que dans son ensemble, et avec une méthode fantastique qui n’appartient qu’à lui.
– Georges Renard
La Lanterne du 20 juin 1899, page 2.
« Les Idées et les Livres – Poètes et
poésies ».
[Présentation de Paysages et Paysans de Maurice
Rollinat]
(…) On savait de reste que M. Rollinat est un
descriptif puissant : on soupçonnait moins en lui un peintre habile de
la vie et de l’âme paysannes. C’est qu’il les connait bien les
paysans de son pays : il ne les a pas entrevus en passant d’un coup d’œil
de bourgeois dédaigneux ; il a vécu avec eux, simple et
fraternel ; il est allé s’asseoir à leur foyer hospitalier ;
il s’est mis à aimer leur rude et saine philosophie ; il a compris
par le cœur ce qui les chagrine et ce qui les console, et maintenant il
traduit leur langage savoureux en vers populaires, où les mots s’abrègent
et se déforment comme dans leur parler, mais où la poésie garde un parfum
de fleur sauvage.
(…)
Ce n’est pas seulement le rire joyeux que M. Rollinat parait avoir appris ou réappris des paysans. C’est aussi et surtout la sérénité, l’acceptation de la vie et la résignation à la mort inévitable. Il entend un tas de vieux lui prêcher de parole et d’exemple la joie toujours nouvelle de revoir la monotone succession des saisons ; il prend avec eux des leçons d’endurance et de tranquillité. L’épanouissement des fleurs, que leur fragilité n’empêche pas de boire avec délices le soleil et la rosée ; la grâce des enfants, qui redécouvrent le monde et le voient, comme eux-mêmes, neuf et fleuri ; l’amour, qui pour un perpétuel recommencement jette les jeunes filles aux bras des jeunes hommes ; les animaux eux-mêmes, qui subissent leur destin avec une muette douceur en happant au passage les brèves jouissances que le hasard leur offre ; tout lui devient réconfort et dictame ; tout l’apaise et le réconcilie avec la loi naturelle. (…)
– Charles Maurras
Revue Encyclopédique du 1er juillet 1899,
pages 506 et 507.
« Revue littéraire ».
[Présentation de Paysages et Paysans de Maurice Rollinat]
(…)
Heureusement, près de ces fades Paysages, M.
Rollinat a su placer des Paysans qui sont pleins de saveur. Comme M.
Hu-(page 507)gues Lapaire, il a fait parler ses
rustiques dans le dialecte de la campagne et, bien que je me sente ennemi,
de principe, de ces sortes de déformations linguistiques, je suis forcé de
convenir que la tentative n’a point échoué. Les rusticités berrichonnes
de M. Rollinat sont heureuses et riches en effets curieux. (…)
Voilà les signes manifestes d’un renouvellement dans la manière de M. Maurice Rollinat. Avec quelques lettrés, qui ne peuvent s’empêcher de reconnaître la présence d’une vraie muse naturelle dans cette imagination, je m’en réjouis volontiers.
(1) Chansons berriaudes.
Remarque de Régis Crosnier : Charles Maurras est un défenseur du classicisme, aussi, il n’est pas étonnant qu’il n’aime pas la poésie de Maurice Rollinat. Par contre, la sauvegarde de la manière de parler des paysans berrichons ou creusois l’intéresse.
– Jeanne Tullio (pseudonyme
utilisé par Mme Caruchet, épouse du peintre Henri Caruchet)
La Fronde du 20 janvier 1900, page 2.
Article « Les êtres et les choses dans l’Œuvre de
Maurice Rollinat » (1ère partie)
(…)
Une vision exacte des formes et des couleurs, la notation
scrupuleuse des sons, une harmonie initiative naturelle et spontanée, font
de tous ces poèmes des pages inoubliables des descriptions que rien n’égale,
parce qu’elles unissent une précision scientifique en quelque sorte, à
une poésie d’un charme pénétrant et fort ; c’est du vu, de l’observé,
par des yeux merveilleusement doués, des yeux d’artiste, je dirais
presque de peintre, et surtout d’amant passionné de la nature. Dans
les Brandes, La Nature, Paysages et paysans, sont des
œuvres, on le sent, qui viennent tout droit du pays de Creuse, si accidenté,
si pittoresque, et qui ont la couleur de son ciel, le frisson de ses eaux
courantes, la sauvage beauté de ses roches.
(…)
La Fronde du 23 janvier 1900, page 2.
Article « Les êtres et les choses dans l’Œuvre de
Maurice Rollinat » (3ème partie)
(…) Puis, ce qui distingue tout à fait le poète Creusois, et qui le met, à notre avis, hors de pair, c’est cette compréhension si haute de la rusticité et de son charme, cette vision si nette des paysages et des êtres. Le souffle aromatisé de la plaine et des bois circule réellement à travers ces pages et les vivifie. C’est la grande et vraie nature, admirée dans toutes ses beautés, surprise dans tous ses secrets, adorée dans ses colères comme dans ses tendresses, qui se dégage de cette œuvre ; on la sent chantée avec passion, la passion de l’artiste qui communie avec le Grand Tout par son être entier. C’est qu’en effet la nature est pour Rollinat la joie des yeux, la guérison du corps, l’apaisement de l’âme ; elle est aussi la foi, la religion : (…)
– Le Courrier du Centre du 14 juillet 1902,
page 2.
Rubrique « Chronique locale » – Rollinat à
Limoges (article non signé).
(…)
Rollinat est, depuis son livre des Névroses, le
poète et le musicien de la nature ; il a noté le murmure des sources,
la mélancolie des nuits, toutes les voix et toutes les symphonies des
campagnes qui ont impressionné son âme d’artiste. Il s’est du reste
voué d’une façon complète à son œuvre naturiste et depuis près de
vingt ans, il vit dans la solitude enchantée de Fresselines, au bord des
deux Creuses.
(…)
– Jean de Nivelle (pseudonyme
utilisé par Charles Canivet)
Le Soleil du 27 octobre 1903, page 1.
Article « Maurice Rollinat » (suite au
décès de celui-ci).
(…) toutes les rumeurs de la campagne résonnent et chantent dans certains de ses volumes de vers, Nature, par exemple, et Paysages et Paysans. (…)
Quoi qu’il en soit, ce fut un vrai poète, original et fécond, (…) un véritable artiste, qui voyait les choses avec des yeux de peintre et savait exprimer ses visions, dans une langue très harmonieuse et dans des pièces achevées, avec une intensité de vie extraordinaire, et où toutes choses semblent animées
– Faverolles (pseudonyme
utilisé par Joseph Montet)
Le Gaulois du 27 octobre 1903, page 1.
Article « La mort du poète – M. Maurice
Rollinat ».
(…) Au contraire de ce que l’on a cru longtemps, Rollinat était la sincérité et la simplicité mêmes. Il était, en face de la vie, naïf et désarmé comme un grand enfant. Et c’est cette sincérité, cette naïveté d’impression qui donne le secret de son art. Jamais homme ne fut plus près de la nature, n’en reçut plus directement, plus exclusivement l’inspiration. Dans sa solitude de Fresselines, où je l’ai vu si souvent errer, sa gaule de pêcheur à la main, il vivait en communion constante avec les éléments qui nous entourent de leur mystère : l’air, la terre, l’eau, le ciel, le vent, les arbres, les nuages, tout ce qui constitue autour de nous, sous nos pieds, sur nos têtes, l’éternel problème de l’être et du devenir. Ce problème l’obsédait, et, plus encore que sa face tournée vers la vie, l’autre face, celle qui regarde la mort...
Cette hantise du noir inconnu, de l’insondable abîme d’où
tout sort et où tout retourne, est sans nul doute la note dominante de
Rollinat, celle qui lui a fournit ses accents les plus personnels et les
plus poignants. Mais son sens de la nature était complet. Il en percevait
merveilleusement les beautés et les grâces, et il les traduisait avec une
maîtrise surprenante qui lui venait justement de l’intensité de sa
pénétration. Certains tableaux de lui sont des chefs-d’œuvre de précision
ingénieuse, où la minutie du détail complète, sans lui nuire, la
poétique valeur d’une large vue d’ensemble...
(…)
– Adolphe Brisson
Le Courrier du Centre du 29 octobre 1903, page 1.
Article « Le Poète des Névroses ».
(…)
Et c’est alors que commença la seconde partie de son
existence. S’il fût demeuré à Paris, il eût été entraîné, comme
Baudelaire, à accentuer, à exagérer, à exaspérer l’originalité
factice de son œuvre. Le frais contact de la nature l’a apaisé,
assagi : le poète des « Névroses » est devenu le poète
des abeilles, des fleurs sauvages, des ruisseaux jaseurs.
(…)
– Gustave Geffroy
La Dépêche (Toulouse) du 31 octobre 1903, pages 1 et 2.
Article « Causeries – Maurice Rollinat ».
(page 2)
(…)
– Louis Lumet
La Petite République Socialiste du 10 novembre 1903,
page 3.
« Chronique littéraire – Les écrits, les œuvres et
les hommes – En Errant, proses d’un solitaire, Maurice Rollinat (E.
Fasquelle). »
(…)
Il aime la nature, comme une femme, en voluptueux,
perpétuellement inquiet de ses sourires, de ses colères, enamouré sans
fatigue de la beauté diverse et changeante de ses formes. Il la regarde
avec tendresse, avec passion, avec terreur, et il la décrit avec l’ivresse
d’un amant. Elle l’enveloppe et elle le pénètre. C’est elle qui
rythme sa pensée, qui scande les mouvements de son cœur, qui sculpte ses
gestes. Il frissonne des magies de la lumière qui colore les heures
fuyantes ; ses yeux comme nouvellement ouverts respirent, anxieux et
charmés, le mystère incessant des métamorphoses, et ses oreilles
attentives perçoivent des musiques et des voix que personne n’a jamais
encore entendues. Il est vivant dans la nature vivante.
(…)
Le ton singulier de ses poèmes nait de sa sensibilité frémissante au contact du monde extérieur. Tout l’émeut. Il n’a pas besoin des comédies et des drames humains pour rire et pleurer : une bête qui somnole, un arbre dans le soir, un insecte sur une feuille, la poussière même des chemins excitent sa surprise, provoquent son observation, déterminent ses rêves. Il engage des colloques passionnés avec les fleurs et les herbes, avec les nuages du crépuscule, avec les ténèbres ; il écoute les plaintes de l’espace, il comprend le langage des objets familiers, il anime la matière compacte et inerte. Les éléments l’attirent, le ravissent et l’effrayent. Il pense à tout l’inconnaissable qu’ils recèlent, il jouit de leur couleur, des jeux de leur forme, il redoute leur puissance qui peut lui être ennemie. (…)
– Gustave Geffroy
Revue universelle, n° 99 du 1er décembre
1903, pages 617 à 626.
« Maurice Rollinat (1846-1903) ».
(page 618) [À propos de Dans les Brandes]
[À propos du livre Les Névroses]
(page 623)
(…)Cette affinité particulière, c’est le caractère
essentiel de la poésie et de la musique de Maurice Rollinat. Dans ses
descriptions véridiques, dans l’éloquence rythmée de ses vers, dans les
cris, les sanglots et les soupirs d’extase de sa musique, les sérénités
des matins, les ardeurs des midis, les mélancolies des soirs se
réfléchissent, – les appels de l’espace, les bruits d’épouvante,
les plaintes des nuits d’orage et de bourrasque se répercutent. De sa
maison bâtie entre les deux Creuses, maison toute basse, juchée haut, il
avait sa fenêtre ouverte sur l’étendue. Tout ce qui passait sur la
route, chaque bruit qui venait des champs, chaque état du ciel était un
événement pour le sensitif désireux de l’isolement possible et des
infinies occupations de la vie agreste. Le mot qu’il écrivait sur la page
blanche s’aperçoit donc avec toute son intensité, comme l’être surgi
dans la plaine. La mélodie de douleur ou de sérénité qui venait à ses
lèvres s’entend comme un chant de passant sur une grande route, comme la
roulade de pur cristal d’un oiseau perdu dans la nuit.
(…)
(page 624)
Cette dominante, c’est un goût invincible de nature,
un amour inné du visage de la solitude, des aspects permanents de l’espace,
de tout ce qui existe autour de l’homme, de ce qui était avant lui, de ce
qui sera après lui, de ce qui l’enveloppe d’énigme, l’assaille de
mystère : le vent, le ciel, la mer, la chaleur, le froid, la pluie, la
neige, la voix de l’eau.
(…)
(…) il faisait entendre la voix des choses.
C’est cette voix qui chantait en lui. Rollinat, avec la nature d’artiste la plus fine, était avant tout un rustique imprégné de toutes les influences de force et de douceur de la campagne, des musiques de l’air et de l’eau, des aromes de la terre et des végétaux. (…)
– Marie Krysinska
La Revue du 15 août 1904, pages 477 à 491.
« Les Cénacles artistiques et littéraires – Autour
de Maurice Rollinat ».
(page 477)
(…)A l’aube, à l’heure exquise où l’âme du
sureau
Baise, au bord du marais, la tristesse du saule
pour se délecter de reflets, de frissons, de lumières
et d’ombres transparentes.
(…)
– L’Art et les Artistes n° 16 de juillet
1906, pages 170 et 171.
Article « Le Monument de Rollinat » non signé.
(Le texte ci-dessous a vraisemblablement été écrit par
Armand Dayot, directeur de la revue et grand admirateur de Maurice Rollinat.)
(…)
C’est au petit village de Fresselines que sera
prochainement inauguré le marbre, d’un symbolisme si douloureux, que
Rodin a pieusement sculpté à la mémoire de Maurice Rollinat qu’il
admirait et qu’il aimait d’une sorte d’amour fraternel.
C’est dans ce petit village, au bord de la Creuse,
A l’ombre des coteaux rocailleux et boisés,
que le poète des Brandes, des Névroses, de l’Abîme, de la Nature, que l’incomparable interprète de sa musique étrange, inoubliable, d’un charme obsédant, passa les dernières années de sa vie dans une complète solitude qui n’était troublée que par la venue, au printemps, de quelques amis fidèles et de quelques passionnés admirateurs.
Et il convenait que ce fût là, dans le calme des champs, dans cet exil apaisant, au murmure chanteur de la Creuse, loin de « la rue assourdissante », que son art si grand et si injustement méconnu fût publiquement glorifié, et que ce fût le plus grand des sculpteurs qui fixât dans le marbre le souvenir d’un des chantres les plus sincères, les plus inspirés et les plus émouvants de la nature.
– Jacques-André Mérys (pseudonyme
utilisé par Pierre Blanchon)
Journal des débats politiques et littéraires du 15
octobre 1906, pages 2 et 3.
« A propos du monument Rollinat ».
(…)
L’amour du merveilleux sous sa forme enfantine et
bizarre conduisit Maurice Rollinat à composer la partie fantastique de son
œuvre. Ce n’était pas celle qu’il prisait le moins. Elle est pourtant
caduque. En s’enfonçant de plus en plus dans la nature qui remplit les
vingt dernières années de sa vie, le poète fut mieux inspiré. Sa vision
pénétrante, son âme sensible à tout ce qui s’exhale du monde
extérieur, sa longue adaptation aux campagnes natales de la Creuse le
prédestinaient à sculpter en relief la sauvage beauté de son pays. Il
avait l’ambition de peindre la nature telle qu’elle est. Ce lui fut plus
qu’à tout autre interdit. Il ne fit que projeter l’image de la
réalité sur l’écran d’une âme exceptionnellement vibrante.
On trouve dans ses livres, outre de saisissants paysages,
ces impressions et ces réflexions d’un penseur paysan dont les hommes des
villes s’amusent comme d’une singularité, mais qui émeuvent par leur
vérité vécue les familiers des bois, des prairies et des rivières. Là
où l’imagination n’emporte pas le poète jusqu’à l’extravagance, l’œuvre
est sculptée dans le bois du châtaignier ou taillée dans le granit. Elle
est subtile et fruste, ardente et intime, elle donne une note à part, elle
mérite de ne pas périr toute entière.
(…)
– Joseph Bouchard
Bulletin de la Société des Poètes Français
n° 15 – Novembre 1906-Février 1907, pages 4 à 6.
Article « Inauguration du Monument de Maurice Rollinat ».
[Discours prononcé par M. Joseph Bouchard, délégué de la Société des Poètes Français, lors de l’inauguration du bas-relief sculpté par Rodin, le dimanche 21 octobre 1906 à Fresselines]
(…)
« Il a scruté le cœur humain et retourné le scalpel dans des plaies
insoupçonnées. Il s’est reposé au bord des sources, pour mieux entendre
leurs murmures. Il a levé son front lourd de pensées, vers le zénith
azuré, où tournoyait indolemment le vol des aigles. Il s’est penché,
attentif, vers la terre qui devait le reprendre un jour, comme pour lui
arracher quelque terrible secret. Il a transformé pour nous, en un habit d’une
irréprochable élégance, le frac suranné de la légende. S’il lui
arriva d’être parfois un visionnaire trop macabre, en revanche, quel
langage souple et coloré n’a-t-il point patiemment choisi, pour nous dire
le frisson des feuilles, la chanson des oiseaux, la plainte nostalgique, des
souffles d’automne, la caresse douce et tentatrice du vent
printanier ? Il nous a fait sentir, au cours des longues veillées d’hiver,
entre les couplets de ses poèmes, l’arome pénétrant des violettes s’entr’ouvrant
au bon soleil. Dans les remous de l’onde transparente, suivant, du regard
seulement, le liège et le fil ténu de sa ligne favorite, il a élaboré de
grandes choses, paraissant, sans aucun doute, pour le vulgaire, en accomplir
de bien mesquines. Il a pris aux bois leur haleine, à la colline la teinte
rosée de sa bruyère, à l’écho railleur sa voix sonore. Il a écouté
le mugissement du torrent au creux des ravins. Il s’est extasié devant
les aubes virginales. Il a sondé anxieusement les profondeurs de la nuit.
Il a tressailli en face de la nue, sillonnée par le violet zigzag des
éclairs. Il a peint, de son pinceau magique, les ciels les plus
flamboyants, les horizons les plus courroucés. Parmi la nature, au sein de
laquelle se sont achevées ses années trop courtes, il n’est pas jusqu’au
plus petit insecte dont il n’ait compris et exprimé la joie de vivre,
dont il n’ait su faire étinceler, du feu des rubis, des saphirs et des
émeraudes, l’émail chatoyant de ses élytres.
(…)
– Judith Cladel
« Maurice Rollinat », Portraits d’Hier,
n° 31 du 15 juin 1910.
(page 23)
(…)A force d’étudier et d’écouter les gens de la terre, il eut la tentation, non plus de les dépeindre par ses moyens propres, mais par les leurs : il les met en scène, il les fait parler et parler en vers. Immense difficulté ! Laisser au langage local sa saveur de terroir, ses tournures alléchantes, ses brutalités et ses malices ; les insérer toutes vives en des poèmes, sans que l’art y perde et se rabaisse, soit à des négligences, soit à des complaisances de patois d’opérette, sans, non plus, qu’il bride le naturel et trouble en sa pureté la grande source du sentiment populaire, plus d’un heureux écrivain y vint échouer. Rollinat y parvint. Son vers gagna en simplicité, en ingéniosité et, par là, en vigueur. Il réussit ce qu’avait tenté sa célèbre marraine, trop facilement satisfaite en ce genre de l’à-peu-près de ses romans villageois ; après elle, il continua en Berry ce qu’on peut nommer l’école du natalisme qui, depuis, inspira plusieurs autres poètes de cette province, notamment Gabriel Nigond. Il a évité sans défaillance le fade et le convenu ; sa sympathie, épicée de la causticité câline de l’âme plébéïenne, a su camper admirablement dans la vérité de leur caractère, de leurs silhouettes, de leur dialecte le vieux pâtre, le (page 24) sacristain-fossoyeur, le laboureur qui entraîne ses bœufs en chantant ; car :
……………… leur fallait du chant
Qui s’méle au souffl’ de l’air, aux cris d’
l’oiseau qui vole !…
C’est lui qui me disait : « P’têt’
à part les verrats,
Si boudinés mastoc qu’on n’ leur voit pas la
tête,
le meunier, le vieux pêcheur, le maquignon :
Sans m’êt’ mis à l’engrais, c’est
toujours moi 1’ plus gras
Comm’ le mieux arrondi d’ mes bêtes !
le braconnier :
Tout l’ vif du sang, d’ l’esprit, tout’ l’âme
de mes moëlles,
La crêm’ de ma prudence et 1’ fînfîn d’
mon jug’ment,
La fleur de mon adress’, d’ ma rus’, de mon
d’vin’ment
Et d’ ma patienc’ ? Je l’ai dans 1’
jaun’ de mes prunelles.
la meunière, le bon curé, le scieur de long, la fille amoureuse :
J’ suis franch’ de chair comme de pensée.
J’ livr’ ma conscience avec mon corps,
V’la pourquoi j’ n’ai jamais d’ remords
Après qu’ ma folie est passée.
Même dans ce livre de haute rusticité, le poète n’a point perdu la dominante de son talent. Les brandes du Berry recèlent l’inquiétude par leur vastes étendues, comme les landes de Normandie, ou de Bretagne, voire les bruyères d’Ecosse, les sorcières de Macbeth n’y seraient point déplacées. Rollinat devait, mieux que nul autre, mettre en relief l’attrait de singularité et de mystère de la contrée…
… Ivre de songerie,
Suant la somnolence et la sauvagerie.
Et ces personnages mal connus aux allures pour nous
presque incompréhensibles, aux mœurs indiscernables et qui semblent
engendrés par les rochers, les vieux arbres, les ruines, plus que par des
êtres humains : le vagabond, le fou, le sourd, la mendiante, le
rebouteux, les amants charbonniers, le fossoyeur, la lépreuse, ne sont-ils
pas les acteurs troublants de ce décor où se perpètre incessamment des
tragédies sans gestes et sans bruit ?
(…)
– Octave Uzanne
La Dépêche (Toulouse) du 18 mars 1911, page 1.
« Notre époque – La poésie des bêtes »
(…)
Le recueil poétique dont nous venons de lire les
pièces, jusqu’alors inédites, se frontispice de ce seul mot : Les
Bêtes. Il suffit à nous évoquer le poète subtil, l’observateur
sagace, le pêcheur madré, le curieux attentif de tout ce qui vit sur et
sous terre que fut Maurice Rollinat. Les bêtes : il vécut
heureusement avec elles toute la dernière partie de sa vie. Il s’appliqua
à les deviner, à les comprendre, à interpréter leurs mœurs intimes, à
s’émerveiller, de leurs sûrs instincts, à se passionner pour leurs
travaux, leurs luttes opiniâtres et pathétiques, à saisir les inimitiés
et les haines féroces des espèces. Et comme il aimait exposer, détailler
à ses amis, en mots coloriés, expressifs, particuliers, brillants, tout ce
qu’il avait surpris des façons d’être des bestioles : insectes,
papillons, chenilles, guêpes, abeilles, fourmis, qu’il allait étudier
dans les prairies ou sous les taillis qui entouraient sa modeste maisonnette
champêtre, non loin de Fresselines, entre les deux Creuses. Il aimait les
bêtes, ces menus frères inférieurs qu’il jugeait supérieurs en bonté
aux hommes vaniteux, destructeurs et cruels, et, leur accordant la parole,
à la manière du bon La Fontaine, il leur faisait exposer ce jugement sur
leurs tyrans sans pitié :
Vous ne le croyez pas, mais nous vous connaissons
Tout de même depuis que nous vous subissons.
Nous sentons que vos cœurs ne valent pas les nôtres,
Votre méchanceté nous trouve conscients.
Si nous sommes rusés, serviles, méfiants,
C’est que nous vous savons plus mauvais que nous
autres.
(…)
– Pierre Blanchon
La Revue de Paris du 15 janvier 1912, pages 367 à 395.
« Un poète du fantastique et de la nature – Maurice Rollinat ».
(page 389) (…)
La plus passionnante des questions que pose l’étude d’un
artiste se formule sans doute ainsi : quelle est son attitude en face
du grand modèle, la Nature ?
Rollinat vécut auprès d’elle seul à seule. Il la voit, – on a pu s’en rendre compte ici, – tantôt dans son âpre réalité, qu’il exagère encore, tantôt à travers le mirage d’une imagination transfiguratrice. Elle n’est pas simplement à ses yeux un dictionnaire, comme pour Eugène Delacroix et pour Flaubert, ni même « un index encyclopédique et systématique ou un plan de notre intelligence », suivant la conception de Novalis. Elle a sa vie propre, elle est force, elle est instinct, elle est esprit. Le poète la sent frémir, délicieuse et terrible ; il l’étudie, maîtresse d’erreur et de vérité, abîme de contradictions et d’embûches. Elle est l’atmosphère de son âme.
Il la bénit d’abord pour sa fécondité, sa grâce et
sa magnificence ; il en exalte sans se lasser la solitude, la
consolante indifférence et la fraternité.
(…)
(page 393) (…)
Les origines de Maurice Rollinat et son tempérament, sa
longue adaptation aux campagnes natales, le prédestinaient à fixer dans
une peinture émouvante la sauvagerie du pays creusois. Mais ce pays, à son
tour, par l’âpreté des sites et par la difficulté d’en dégager les
lignes maîtresses, habituellement noyées sous la variété du détail, ne
fut pas sans exercer une action fâcheuse sur son talent, qu’il assombrit
et qu’il jeta dans cette rage d’analyse trop souvent mortelle aux
créateurs originaux.
(…)
– Gustave Geffroy
La Dépêche (Toulouse) du 31 octobre 1923, page 1.
« Souvenirs de Rollinat ».
(…)
Le sentiment de nature manifesté par Rollinat à ses
débuts se retrouve dans une partie des Névroses, parues en 1883.
Parmi les descriptions macabres, les récits de cauchemars, les
hallucinations, les accès de nervosisme, qui ont droit de cité dans la
littérature, et qui ont révélé en Rollinat, non un imitateur, mais un
frère noir de Edgar Poë et de Baudelaire, il y a les Refuges, une
série de chefs-d’œuvre inspirés par les rivières et les arbres, les
collines et les champs. Là, Rollinat, reprend pied sur la terre natale,
hors de l’atmosphère morbide où tournoyait sa pensée. Il célèbre la
lumière, respire les fleurs, admire l’arc-en-ciel, écrit le poème de la
vie animale, magnifie en une page hardie et pure la scène où la génisse
est conduite au taureau. Lorsque Rollinat dit cette poésie, de sa voix
harmonieuse, dans un salon de Paris, Ernest Renan était parmi les
auditeurs ; il alla vers le poète avec cette bonne grâce qui était
en lui, lui dit son émotion et son admiration. (…)
(NB : Ne figurent pas dans cette recherche les travaux des biographes de Maurice Rollinat comme Émile Vinchon, Hugues Lapaire ou Régis Miannay.)
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