Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

La Revue blanche

1er août 1896 (?)

Pages 126 à 128.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

La Revue blanche

Tome XI

Deuxième semestre 1896

 

(page 126)

 

La Vie mentale

 

A Catulle Mendès. – Les poètes (M. Maurice Rollinat, M. Léon Hély). – L’œuvre des Goncourt. – L’abbé Prevost de M. Harisse.

(…)

 

Les poètes. – M. Maurice Rollinat, M. Léon Hély.

M. Maurice Rollinat est considéré par quelques personnes comme un grand poète. Qu’y a-t-il de vrai dans ce jugement porté sur l’auteur des Névroses, de l’Abîme, des Apparitions par quelques juges auxquels je me garderai de refuser une légitime autorité, M. Lucien Descaves, par exemple ? Mais pourquoi n’y puis-je nullement souscrire, et à mon regret ?

A mon regret, certes, car je n’ignore pas que M. Rollinat, au seuil du succès, au moment d’être adopté tel quel par la mode, abandonna les probabilités toutes flatteuses qu’il pouvait envisager, pour s’isoler et s’enclore dans le travail.

Ce travail, pour ne point nous donner de satisfaction esthétique, n’en garde pas moins sa noblesse. C’est donc un caractère de poète que ce caractère et ce premier point est tout à son honneur. De plus, M. Rollinat aime philosopher et ne recule pas plus devant la transcription d’une idée abstraite que devant l’interprétation des phénomènes de la nature, les plus difficiles, quoique apparemment les plus simples, difficiles d’ailleurs parce qu’apparemment simples. Ses ambitions sont donc louables, et pourtant sa poésie laisse froid ; elle ne donne pas (page 127) l’impression de poésie. D’où vient cet écart entre la volition et la réalisation ; où est l’erreur du poète ?

M. Rollinat procède de deux sources bien différentes, peut-être de trois. En tout cas, si nous mettions de côté cette troisième influence, notable dans les pièces philosophiques, qui serait celle du Pascal des Pensées, nous constaterons d’abord qu’il a beaucoup retenu d’Edgar Poe et de Baudelaire (première influence). Et quoique, musicien, il ait traité certaines des pièces les plus pures de Baudelaire, « Vous êtes un beau ciel d’automne », etc…, comme poète, il semble avoir été plus frappé par la Charogne, et par les autres pièces terrifiques et macabres du grand poète, donc ce n’est point la gamme la plus heureuse, ni celle à qui nous devons tous un peu, parce qu’elle fut éminemment intellectuelle. Chez Edgar Poe, nous verrions aussi qu’il affectionne surtout les contes de terreur, les contes de terreur physique, les procès-verbaux de folie, comme le Cœur révélateur, et les décors d’appréhension cauchemaresque comme le Spectre de la Mort Rouge. De ces deux modèles ainsi compris, il a gardé l’habitude de la pièce qui mène à un sursaut, il ménage de l’inattendu, il organise du mystère, et pourtant vous chercheriez très vainement chez lui la sensation d’érèbe du Corbeau, la condensation violente et lyrique du Vin de l’Assassin.

L’autre influence à laquelle je pensais est celle de M. Jean Richepin. Elle apparaît évidente dans la structure de la pièce, dans la forme du vers, dans le soudain du détail. Elle existe, formelle, à la vérité, et technique simplement. Si M. Rollinat protestait et nous demandait si à notre sens il n’apporte pas techniquement quelque originalité, nous concèderions qu’il y eut nouveauté dans son système de ramasser dans une pièce, la Peur, autrefois, les Choses, dans ses Apparitions, toutes les facettes d’une sensation ; et si verbal que soit le procédé, il nous semble à lui. Il n’est pas non plus sans intérêt lorsqu’à tel sujet il applique une strophe assez personnelle et qui cadence son rythme tout au long de la pièce.

La divergence qui existe entre les récents poètes et M. Rollinat se dresse ici. Cette contexture générale ne peut être le vrai mode d’un poème où il s’agit de présenter en même temps les aspects multiples que prend, dans l’esprit, un phénomène de nature. Voyez, dans les Apparitions, la pièce intitulée Enfin la nuit ! et surtout l’Orage en Forêt. Il sera facile de constater qu’il faut un autre rythme pour figurer l’attente de la forêt sous l’orage, et pour dépeindre l’orage convulsant les arbres. M. Rollinat pourra nous répondre que notre théorie est celle d’un poète du vers libre, et que de cela il n’a cure. Je n’en crois pas moins que l’objection est sérieuse et difficile à réfuter.

Un autre point me gêne chez M. Rollinat. C’est sa langue poétique : elle manque de relief. Il utilise trop et sans besoin les termes abstraits ; il ne sait pas, par le détail adjouxtant, les marquer de poésie. Pourtant, il se pique d’une rythmique très exacte et d’une belle précision. Il nous paraît atteindre cette rythmique exacte, inutilement exacte, tout à fait au détriment de la vraie précision. Ses mots couvrent juste ses idées, sans (page 128) les orner. Sa pièce la Bonté en est un exemple entre plusieurs. Et même eût-il réalisé dans cette pièce exactement ce qu’il a voulu, nous lui reprocherions encore de ne nous avoir pas donné la poésie, c’est-à-dire de ne pas évoquer un décor suffisant de rêve autour de la stricte ligne d’idée qu’il poursuit.

M. Rollinat est un des exemples de plus de la nécessité de la dernière rénovation poétique, et certes un des meilleurs à cause de ce qu’il apporte inutilement de qualités de travail et d’honnêteté à une technique qu’il manie, mais qu’il ne sait point parer.

(…)

Gustave Kahn

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Dans le premier paragraphe, Gustave Kahn fait allusion à Lucien Descaves ; peut-être a-t-il en tête l’article paru dans L’Écho de Paris du 28 juin 1896, pages 1 et 2, intitulé tout simplement Maurice Rollinat, dans lequel Lucien Descaves évoque tout d’abord la vie parisienne du poète et ses qualités de chanteur, puis sa vie à Fresselines et l’évolution de sa poésie en lien avec la nature.

– 2 – Gustave Kahn et Maurice Rollinat se sont connus aux Hydropathes, puis Gustave Kahn est parti faire son service militaire en Afrique du Nord, de 1880 à fin 1885. Ceci pourrait expliquer la formule « car je n’ignore pas… » utilisée au deuxième paragraphe.

– 3 – Dans le sixième paragraphe, Gustave Kahn fait allusion au « vers libre ». Nous trouvons ici son sujet de prédilection puisque « Marie Krysinska disputait à Gustave Kahn la priorité dans l’invention du vers libre » écrit Laurent Tailhade (page 11 de Quelques fantômes de jadis, Collection Société des Trente, Albert Messein éditeur, Paris, 1913, 93 pages). Le premier livre de poésie de Gustave Kahn, Les palais nomades (Tresse et Stock éditeurs, Paris, 1887, 173 pages), est écrit en vers libres. Il théorisera sa démarche dans Premiers Poèmes précédés d’une étude sur le vers libre (Société du Mercure de France, Paris, 1897, 338 pages).