Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Courrier du Centre (Limoges)

Mardi 6 juin 1893

Page 3.

(Voir le texte d’origine sur le site de la Bibliothèque multimédia francophone de Limoges)

 

 

VARIÉTÉS

LE LIVRE DE LA NATURE (1)

Par Maurice ROLLINAT

 

Il y a peu de bonnes poésies pour les enfants, et cela nous semble aisément explicable. Quelle tâche rude et délicate en effet que de mettre son cœur, son cerveau, sa plume et les fantaisies de la poétique française à la portée de ces tendres imaginations !

Aussi les plus habiles ouvriers de la pensée ont-ils souvent perdu leur temps et leurs efforts sans pouvoir prétendre au titre de poètes de l’enfance.

A part La Fontaine, qui reste le maître incomparable du genre, rares sont les poètes qui ont réussi à condenser dans quelques vers des vérités simplement dites ou des descriptions exactes de la nature. C’est pourtant d’un de ces heureux poètes et de son livre que nous venons aujourd’hui entretenir les lecteurs de ce journal.

Maurice Rollinat a voulu suivre le conseil que lui donnait Georges Sand dans une page de haut style qui sert maintenant de préface à son livre.

La châtelaine de Nohant indiquait la nécessité de faire « un recueil de vers pour les enfants de six à douze ans, en ayant soin d’entremêler sans confondre les degrés », « C’est très difficile, ajoutait-elle, plus difficile que tout ce qu’on peut se proposer en littérature. Je l’ai demandé à ceux qui font des vers, tous ont reculé, ne sentant pas vibrer en eux cette corde du grand et du simple à la portée de l’enfance. »

Eh bien, Rollinat qui est tout entier dans ces deux mots, le grand et le simple, a senti sans doute vibrer en lui la corde nécessaire, et il a su écrire ce recueil de vers tant souhaité par Georges Sand.

A-t-il complètement réussi dans la tâche qu’il s’était proposée ? C’est ce qu’il nous faut maintenant examiner.

Commençons par reconnaître que Maurice Rollinat s’est fort peu soucié de la morale particulière qu’il aurait pu tirer de chaque fait observé, de chaque aspect entrevu.

Que le lecteur ne cherche donc dans le recueil en question aucun précepte, aucune maxime dont il pourrait garnir la mémoire complaisante de l’enfant.

Et franchement, que valent les préceptes les mieux tournés, les maximes les plus séduisantes s’ils ne deviennent pas dans le cerveau de l’enfant des germes fructifiant et passant à l’état de réalités agissantes le jour où les circonstances de la vie l’exigent ?

Un petit enfant jouant avec un camarade plus malin que lui, se laissera très bien prendre, par des flatteries et des caresses, une partie de son gâteau ou son gâteau tout entier, sans se soucier le moins du monde de la fable du renard et du corbeau, qu’il saura cependant par cœur.

Tout cela est pour dire que l’éducation morale de l’enfant ne se fait guère au moyen des manuels, mais par les leçons de l’expérience quotidienne et aussi par les exemples de la famille. Le poète des enfants n’avait donc pas, dans la circonstance, à se préoccuper d’enseigner et de moraliser, il n’avait qu’à ouvrir devant ces deux ingénus le grand livre de la Nature et à le traduire en caractères simples et précis.

C’est ce que Maurice Rollinat a très heureusement fait.

Nous ne retrouvons plus dans l’auteur du « Choix de poésies pour les enfants » le poète des « Névroses », mais bien le conteur charmant qui écoute autour de lui la grande symphonie des choses et qui la débite pour ses jeunes auditeurs en pastorales, en ariettes, en menuets, en rondes, en chansons.

Avec un brin d’herbe, un caillou, un peu de mousse, Rollinat bâtit un petit refuge champêtre, où il abrite son observation et forge son vers.

Lisez plutôt la poésie suivante intitulée : « Le Petit Paysage :

Ce frais recoin mystérieux
Qu’a regards penchés je visite,
Vaut pour moi le plus vaste site
Où l’on s’écarquille les yeux.
Ce paysage mignonnet
Est fait d’un caillou, d’une mousse.
D’un brin d’herbe, d’un peu d’eau rousse,
D’un champignon et d’un genêt.
Le vent caché pour le moment,
D’aucun souffle ne les dérange :
Ils dorment leur sommeil étrange,
De stupeur et d’écrasement.
Le soleil cuisant le sillon,
L’onde, les foins, l’arbre et la roche,
Par intervalle les accroche
D’une parcelle de rayon.
Etc………

Est-ce assez frais et en même temps assez sincère ! et ne vous est-il pas arrivé à vous qui vous promenez volontiers à la campagne de vous étendre parfois à l’ombre d’un grand châtaignier et de regarder tout près de vous la vie minuscule qui agite « le Petit Paysage » contenu dans quelques centimètres carrés ?

Veut-on dans le même genre et avec la même simplicité de touche, voir ce paysage s’animer par l’introduction d’une créature vivante. Voici la pièce intitulée « Le Petit témoin » :

Sans beaucoup sortir de ses trous
L’insecte voit ce qui se passe :
A sa manière, autant que nous,
Il est le témoin de l’espace.
Ses ciels sont les morceaux d’azur
Tenant entre deux feuilles vertes ;
Ses monts, les pierres d’un vieux mur,
Et ses lacs, les flaques inertes.
Un ruisseau lui fait l’Océan ;
Le brin d’herbe, un arbre géant ;
Et toute la nature en somme
Se réduit pour ses petits yeux :
Il ne manque à ce curieux
Que la miniature de l’homme.

Remarquez le dernier trait, combien il est juste et combien il est philosophique !

Et « l’enterrement d’une fourmi » et le « Poulain » et la « Bête à bon Dieu » et « la grosse anguille » et « le Ver luisant », autant de mises en scène faites en deux ou trois mots vifs, autant de personnages lestement campés et décrits dans leur cadre naturel.

Nous ne voulons pas parler de l’élégante structure du vers et de la richesse de la rime, c’est l’affaire de plus experts que nous, mais qu’il nous soit permis de signaler à l’attention des maîtres, des éducateurs et des pères, le Livre de la nature. Nous devons ajouter en ce qui concerne spécialement les enfants de la campagne, qu’il y a comme une importance sociale à bien les pénétrer des beautés qui les environnent, à leur faire comprendre et aimer la nature.

C’est précisément le but et ce sera l’effet du livre de Maurice Rollinat.

L’Université qui est maintenant dans un perpétuel printemps et qui ne songe qu’à tout rajeunir et rafraîchir autour d’elle, devrait bien chercher à renouveler, en même temps que ses programmes d’exercices physiques, ses programmes d’exercices moraux.

Pour cela, elle n’aurait qu’à se retremper aux sources fraîches de la jeune poésie, en adoptant des livres comme le Livre de la nature.

Ce serait le fait d’une initiative intelligente et généreuse.

G…

 

(1) Librairie Delagrave.

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Il faut lire bien évidemment « George Sand » et non « Georges Sand ».

– 2 – Dans le poème « Le petit Paysage » (page 43 du Livre de la Nature), il faut lire au vers 2 : « Qu’à regards » au lieu de « Qu’a regards », et au vers 15 : « Par intervalles » au lieu de « Par intervalle ». Par ailleurs, ce poème est structuré en strophes de quatre vers.

– 3 – Le poème « Le petit Témoin » (page 49 du livre) est un sonnet donc structuré en quatre strophes (4+4+3+3 vers).

– 4 – « G… » est vraisemblablement l’initiale du nom de René Guillemot, rédacteur en chef du journal.