Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

LE FEU FOLLET

N° 23 – Avril 1882

Pages 399 à 402.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

PORTRAITS PARISIENS

 

(NDLR : La première partie de cet article n’est pas reprise ici.)

(page 401)

 

(...)

Je citerai surtout M. Maurice Rollinat, une notoriété qui a déjà une œuvre forte à son actif.

M. Maurice Rollinat a ce privilège qu’il chante ses œuvres aussi bien qu’il les écrit.

Il faut remonter aux troubadours pour trouver un poète musicien chez lequel les deux talents se développent parallèlement avec une égale intensité.

C’est pourtant une particularité que l’on peut apprécier chez l’auteur des Brandes.

Entendez-lui chanter le Bûcheron, le Cœur mort, la Croix, le Mort joyeux, et vous jugerez à quel résultat peuvent arriver la musique et la poésie découlant d’une même source et se fortifiant l’une l’autre dans leur expansion.

Il n’y a guère qu’un mot qui puisse caractériser le talent de M. Maurice Rollinat. « C’est de l’empoignant. » Cela saisit du premier coup. Le saisissement est parfois un cauchemar, une oppression provoquée par la mise à nu brutale d’une réalité terrible ; mais l’émotion est insurmontable, et si elle comprime parfois l’applaudissement, elle n’en est pas moins une admiration intime et recueillie comme celle que l’on doit avoir devant une création sérieuse de l’art.

Il y a là une âpre philosophie, une amertume implacable qui se manifeste par un réalisme grandiose, parfois effroyable, une indifférence profonde, une ironie triomphante et une mélancolique résignation.

M. Rollinat procède de Baudelaire et d’Edgar Poë qu’il traduit en lui donnant le montant de sa personnalité. On retrouve dans son œuvre, comme dans les Fleurs du mal, une matérialisation violente, superbe et dédaigneuse, un exposé fantastique des (page 402) destinées humaines, et une volupté souveraine à décrire le néant de toutes choses et le dégagement de toute sensation.

On y trouve aussi une recherche instinctive du bizarre, un pathétique plus éloquent que celui de Baudelaire et un réalisme tempéré de tristesse qui donne à cette poésie un caractère poignant d’humanité. Parfois une idylle traverse le morne ossuaire comme un coup de clair soleil. Un amour naïf fait sonner la fanfare de ses baisers champêtres, dominant la tempête des sanglots, des râles et des grincements déchaînés au milieu de ces grands paysages étranges et désolés.

Il ne faut point chercher la moralité de tout ceci. Il ne faut point chercher à la fin de ces morceaux de haute et large allure écrits au hasard de l’inspiration, les quatre versiculets sentencieux qui terminent l’œuvre du fabuliste. Il ne faut point chercher l’utilité pratique de ce stoïcisme mitigé.

Le talent suit sa pente naturelle. Il obéit à la loi des tempéraments. Cette loi, indépendante par nature, – plutôt caprice que loi, – subordonne la morale à toutes les modalités, à tous les phénomènes de la sensation. – Et si la Vieille à Lunettes, ainsi que la nomme irrévérencieusement Th. Gautier, est parfois attachée comme Brunehaut à la queue du coursier poétique, si elle se déchire aux ronces, si elle se meurtrit aux cailloux, le grand spécifique de l’art est là pour panser et guérir ses blessures. – L’œuvre de M. Maurice Rollinat est bien l’expression des tendances modernes.

L’idéal montrant la corde, le naturalisme fatiguant avec l’exhibition de son linge sale, les sensations étant épuisées, les cerveaux étant tourmentés de névroses, les cœurs desséchés d’anémie, et les souffles poétiques exténués par l’asthme, il faut pour fouetter les entendements engourdis des excentricités gigantesques.

La poésie de M. Rollinat est une franche et sauvage claironnée destinée à un retentissement durable dans le monde littéraire.

En attendant que le public couronne comme elle le mérite l’œuvre du poète, la compagnie d’érudits et de fins lettrés dont Charles Buet s’est fait une garde d’honneur, assiste dans le salon de l’avenue de Breteuil aux répétitions du succès qui doit consacrer la réputation de l’auteur des « Brandes. »

 

Gustave GUICHES.