Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Gaulois

Dimanche 17 janvier 1892

Page 1.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

MAURICE ROLLINAT

 

Le Figaro vient d’annoncer, par un article de M. Armand Dayot, qu’une soirée de poésie et de musique, où ne figureraient au programme que des vers et des mélodies de Maurice Rollinat, allait être prochainement organisée. Les interprètes, ce seront des acteurs et des chanteurs en vedette sur les affiches des théâtres de Paris. Le comité de préparation sera présidé par un écrivain qui n’était pas nommé dans l’article de notre confrère et qui peut bien être nommé, semble-t-il, puisque son acceptation lui fait honneur et fait grand plaisir aux admirateurs et aux amis de Rollinat.

L’écrivain, c’est Alphonse Daudet, dont on sait la passion pour la musique, et dont on saura ainsi la passion particulière pour la musique du grand artiste dont le nom et l’œuvre vont être enfin évoqués à nouveau.

Ce sera, cette soirée prochaine, une juste réparation des années de silence, sinon d’oubli, ce sera un rappel à la critique qui a laissé passer, après les Névroses, ce livre de l’Abîme, d’art si hautain, de pensée si profonde. Ce sera aussi une très charmante manifestation de sympathie, en même temps qu’une expérience et une révélation.

La salle, en effet, sera choisie ni trop petite ni trop grande. Les amis de la première heure ne s’y trouveront pas seuls. Le public sera présent, puisque le grand nombre des invitations sera évidemment adressé aux poètes, aux musiciens, aux littérateurs, aux journalistes, aux artistes de tous les arts, aux gens du monde, aux écouteurs de bonne foi. Et l’expérience sera de la plus haute curiosité, puisque c’est l’œuvre de Rollinat, mais sans Rollinat, qui va se présenter à cet auditoire avec sa grâce et sa force intrinsèque.

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Il ne sera pas là, en effet, lui, le poète de cette poésie, le musicien de cette musique, l’acteur et le chanteur à la voix et au geste inoubliables. Il ne sera pas là, et ses amis, par extraordinaire, vont être forcés de se réjouir de son absence. Son interprétation va être confiée à des interprètes, elle va connaître le sort commun de toutes les pages violemment personnelles qui s’en vont trouver la foule à travers l’acteur.

C’est la même aventure qui arrive au livre, se changeant de manuscrit en imprimé, au tableau, quittant l’atelier pour la muraille d’exposition. Il faut, même s’il y a incompréhension, même s’il y a insuccès, il faut que le livre soit lu, il faut que le tableau soit vu. Il le faut pour l’artiste et pour son œuvre. Livrés à la dispute publique, ballottés par ces grosses vagues d’opinions que font l’amour et la haine, cet artiste et cette œuvre connaissent ainsi, après les heures nécessaires de solitude, les agitations de la vie, nécessaires aussi, les dangers de tempête et les espoirs d’arrivées heureuses dans les rades lointaines.

Un tel départ dans le hasard, un tel appareillage pour l’inconnu, la mise en communication périlleuse et vaillante avec le public, voilà ce que quelques-uns ne craignent pas, et souhaitent depuis longtemps, pour Rollinat. Le soir où ses poésies seront dites, où sa musique chantera dans un orchestre, s’envolera dans une voix de femme, la certitude se fera peut-être que son piano et sa voix, à lui Rollinat, ne constitue pas tout son art. On s’apercevra que cet art existe par lui-même, s’il est traduit par des compréhensifs, et qu’il y avait un poète sous l’acteur, un musicien sous le chanteur, une pensée sous les paroles, un rythme sous les douceurs, les mélancolies et les cris passionnés de la voix.

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Et comment les choses seraient-elles autrement ? Il aurait été impossible à Rollinat de fanatiser les auditoires qu’il a eus avec les seules qualités physiques de l’expression du visage et de la puissance de la voix. S’il n’y avait eu qu’une matérialité de moyens mise au service de rien, ceux qui auraient été pris et étonnés une fois n’y auraient pas été repris. Ils auraient regretté leur étonnement, ou tout au moins ils auraient passé outre. Mais non, ils ont été des captifs et des fanatiques de leur impression première. Ils n’ont pas eu de repos qu’ils ne l’aient eu renouvelée, ils n’en ont jamais été lassés.

On pourrait en appeler au témoignage que Barbey d’Aurevilly a laissé de son émotion en de nobles et belles pages. On en a appelé à Daudet, qui a répondu, et chez combien d’autres ne trouverait-on pas le même souvenir despotique ! chez des écrivains, des savants, des philosophes, chez des musiciens aussi, et chez tant de femmes, qui n’ont pas à manifester pour des opinions, à certifier de leurs joies d’esprit, de leurs troubles de cœur, mais qui ont gardé la sensation intacte, au profond de leur âme silencieuse, derrière leurs yeux de rêve.

La personne et l’art de Rollinat ont eu, en effet, un public immense, mais fragmenté, composé des spectateurs d’une soirée, de camarades rassemblés dans quelque salle du quartier Latin, d’amis réunis dans des chambrées restreintes. Ce sont déjà là des expériences décisives, se contrôlant et s’affirmant les unes les autres. Il en est d’autres encore. J’ai entendu le poète, dans la petite église de la Creuse, au milieu du village où il vit, je l’ai entendu chanter des airs glorieux et simples composés pour cette nuit de Noël. Il chantait, et notre ami Louis Mullem tenait l’harmonium, et je puis dire l’attention haletante de la foule des humbles au dessus de laquelle planait cette voix dominatrice.

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Touts ces émotions séparées, on les retrouvera réunies dans la salle de concert ou de spectacle où se donnera la soirée de musique qui essayera de résumer l’œuvre de Rollinat. Le public de Paris ne contient-il pas tous ces éléments divers, dont l’énumération vient d’être un peu indiquée ? Les sensitivités de poètes et les curiosités d’esprit, les grâces et les nervosités de femme y sont représentées. Et aussi les impressions instinctives, le goût ineffaçable de la poésie de nature, vivent parmi nous par les souvenirs d’enfance, par les retours vers autrefois, par les voyages toujours recommencés vers l’endroit où vécurent les nôtres.

Qu’on écoute et, par les voix nouvelles, on entendra un esprit. En dehors de Rollinat, que beaucoup, à Paris, ont connu, en dehors de son pouvoir d’acteur, il se produira, par les mots et par les phrases musicales, une projection de pensée. Le poète sera présent par sa seule cérébralité, une des plus rares, des plus fines, des plus exaltées intellectuellement, qui existent.

Les musiciens pourront analyser l’effet produit et rechercher la cause. Ils auront à rendre compte, s’ils le peuvent, d’un étrange phénomène, ce phénomène qui est un homme, une sensibilité aux prises avec le mystère de la nature, les sentiments, les passions, une pensée en dialogue avec elle-même au milieu des foules et dans la solitude, dans le bruit des villes et dans les champs si lumineux et si frais le matin, si roses et si mélancoliques le soir.

Nous écouterons à nouveau ces voix de la campagne, du vent, des arbres, de la rivière, ces appels douloureux, ces plaintes de volupté triste. Et nous les retrouverons, j’en ai la conviction, aussi beaux, aussi émouvants que là-bas, aux confins du Berry, dans la maison de paysans où se sont passés pour quelques-uns tant de jours de vive amitié, de gaieté extraordinaire, en compagnie de Maurice Rollinat, causeur inouï à table, philosophe en promenade, si charmant compagnon et si haut esprit.

GUSTAVE GEFFROY

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – L’article d’Armand Dayot paru dans Le Figaro, évoqué dans le premier paragraphe, est intitulé tout simplement Rollinat et a été publié dans l’édition du 14 janvier 1892, page 1. Armand Dayot y évoque l’article d’Albert Wolff paru dix ans plus tôt, la vie actuelle du poète à Fresselines, sa poésie et sa musique, puis comment il l’a connu et il termine en évoquant le projet d’une soirée consacrée aux œuvres de Maurice Rollinat.

– 2 – La soirée envisagée aura lieu le 14 février 1892 au Théâtre d’Application.