Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Gaulois

Mercredi 24 juin 1896

Page 1.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

ÉCHOS DE PARIS

(…)

A travers les livres

Un livre qui arrive bien à son heure au moment du départ pour les plages, c’est les Apparitions, par Maurice Rollinat. Vautours, spectres, revenants de haine et d’amour, formes blanches, résurrections magiques peuplent ce beau poème, qui vient de paraître chez les éditeurs Charpentier et Fasquelle.

 

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Le Gaulois

Jeudi 9 juillet 1896

Pages 2 et 3.

(Voir le texte d’origine sur Gallica)

 

 

(page 2)

JEUDIS DE QUINZAINE

Poésie macabre

Les Apparitions, par Maurice Rollinat

…Eh bien, non, vraiment, je ne puis prendre aucun plaisir aux histoires de revenants, d’obsessions, de vampires, d’incubes et de succubes : et je ne puis m’empêcher de croire qu’il en est de même pour la plupart de mes contemporains. Il fut un temps où on leur trouvait quelque agrément : la mode a de ces caprices-là ; mais ce temps est passé. Maintenant, le tour est à des « esprits » moins tragiques : si l’on converse encore avec l’autre monde, c’est sans romantisme, à la bonne franquette. L’habitude s’en est si bien répandue qu’elle n’a plus rien d’effrayant : on fait du spiritisme, le soir, en digérant, comme on écoutait des monologues ; on évoque l’âme de Ravachol comme on applaudirait la divette en vogue. Cela distrait autant sans tirer davantage à conséquence. Ce que j’appellerai l’école de l’effroi tend à disparaître.

M. Maurice Rollinat en est le dernier représentant.

Vous rappelez-vous les succès prodigieux qu’il eut à ses premières « apparitions » – si l’on peut lui appliquer ce mot qui dans sa bouche prend toujours un sens terrifiant ? On le vit dans tous les salons, où il disait ses vers, on les chantait : sur des airs de sa composition, – des airs étranges et obsédants, dont les tons et les rythmes rappelaient ceux de chansons populaires. Certains de ses poèmes, comme l’Enterré vif, firent fureur ; et il y a encore des gens qui fredonnent quelquefois – dans un genre plus aimable – la Chanson de la perdrix grise. Pendant toute une saison, il passa pour avoir créé, comme Baudelaire, un frisson nouveau : tout le monde en voulut frissonner. Il fut célèbre. On reproduisit ses traits par tous les moyens disponibles : on le peignit, on le dessina, on le grava sur cuivre et sur pierre, dans ses attitudes les plus fantomatiques.

Je me rappelle une tête de lui, détachée du tronc, sans cou, la bouche grande ouverte, qui donnait la chair de poule. Cependant, ses poèmes et ses chansons parurent en volume (les Névroses) : on les admira, on les célébra, on les apprit par cœur ; et d’abondants imitateurs – troupeau servile, mais dont les excès servent parfois la cause du bon sens – singèrent M. Rollinat. Quant à lui, fatigué sans doute du rôle écrasant que lui imposait sa vogue, hanté tout de bon, disent quelques-uns, par ses obsessions, il disparut. On affirme qu’il s’est retiré à la campagne, pour calmer dans la paix de la nature les affres de son imagination. De sa retraite, il nous a envoyé trois volumes (Dans les brandes, l’Abîme, la Nature), qui n’ont point retrouvé le succès des Névroses. J’ai bien peur que les Apparitions ne le retrouvent pas non plus, bien que M. Rollinat soit revenu à son premier genre.

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Une des pièces de ce nouveau recueil me paraît être la confession de M. Rollinat : un misanthrope, tourmenté par « l’obsession de la pourriture », a fui les hommes et vit aux champs. II s’y trouve bien. Il se loue d’être délivré

Du grand ennui de la pensée
Qui baille devant l’inconnu.

Il ne désire plus rien de ce que poursuivent les hommes. Il se réjouit de pratiquer « l’ennui des arbres et de l’onde ». Il dit :

Mon âme exempte de tempête
Et n’ayant plus à fermenter
Me permet enfin de rester
En bon accord avec ma tête.

Mais un jour qu’il se promène en roulant ces pensées dans sa tête, il entend un glas tinter dans l’éloignement. Alors c’en est fait de sa sérénité : les effrois endormis se réveillent, il a peur, il cherche avec désespoir un secours, un appui :

…Le misanthrope eut froid au fond du cœur, et comme
Un bon vieux mendiant passait là, tout chargé,
Il fit route avec lui, se sentant soulagé

Par cette présence d’un homme.

Ce petit morceau suffirait à prouver – si d’autres donnaient la tentation d’en douter – la parfaite sincérité de M. Rollinat. C’est elle qui le rend intéressant à sa manière ; il n’est point un lugubre farceur, comme le genre macabre en a tant produit ; il est un obsédé pour de bon, il marche dans l’angoisse, à travers des visions d’épouvante.

Toutes les choses qu’il rencontre s’entendent pour aggraver ses hantises : c’est, dans un marécage, un grand cheval blanc dont « un peuple de sangsues » pompe le sang ; sur un coteau, c’est un chêne mort, qui a « l’air crispé d’un grand spectre en démence » ; près d’un vieux cimetière, c’est une tête de mort qu’habite un crapaud, ou bien c’est un squelette de pendu qui se balance aux branches d’un squelette d’arbre... Ce sont là, certes, des rencontres sinistres, encore qu’elles soient assez rares dans la vie réelle et que ni vous ni moi n’en ayons jamais fait de pareilles. Mais la Destinée – force aveugle qui voit très clair – excelle à nous prodiguer les spectacles dont la couleur harmonie avec celle de nos rêves.

Du reste, ces « impressions » paraissent faibles et douces au regard des récits ou des visions dont l’imagination de M. Rollinat fait les frais. Voulez-vous quelques exemples de ses motifs préférés ? Dans une cuisine, le couteau regrette de n’avoir à trancher que du lard et des viandes, il voudrait « s’enfoncer dans le cou du patron ». Las aussi de tirer des lièvres et des bécasses, le fusil rêve de foudroyer le maître. Mais ils sont impuissants : plus heureux, un champignon se pâme d’aise en leur apprenant qu’il va pouvoir empoisonner l’ennemi. – Un voleur bondit « comme une panthère » sur un malheureux passant : ses mains n’étreignent que du vide, il recule en frissonnant, – le voyageur était la Mort. – Un homme arrive dans une auberge pour assassiner une vieille femme ; elle le devine et c’est elle qui l’étrangle. – Une vieille dame qui vit « au fond d’un antique château », est écrasée par la table que son fluide fait tourner. – Sept veuves se racontent les morts agréables de leurs époux et s’empressent de se remarier. – Treize viveurs « que la tristesse ronge » imaginent, pour se distraire, de se raconter réciproquement leur pire cauchemar. Et vous voyez quel thème admirable : treize-cauchemars ! Les six premiers sont véritablement affreux. A partir du septième, l’invention faiblit. Le dixième se contente de tomber indéfiniment dans un puits. Quant au treizième, qui sera le vainqueur de cet étrange tournoi, je le soupçonne de faire de la littérature, car son récit ressemble à un paradoxe que j’ai entendu tenir plus d’une fois par des hommes d’esprit à peu près sain, mais portés à exagérer leur mélancolie. Il dit :

Etant mort enterré, je me sentais revivre...
Et je ressuscitais !... Dans l’enclos gazonné

D’où je sortais comme un damné,

Les défunts me criaient, les uns après les autres :

« Non ! tu ne seras plus des nôtres !

» Pour qui s’est lassé d’être, en son ennui béant,
» Au moins te suicide avance le néant !
» Mais toi, ta vie ayant l’intarissable source,

» Tu n’auras pas cette ressource.
» Tu dois exister désormais

» Pour jamais ! pour jamais !

» Retourne au mal, au deuil, à l’argent, aux amours,

» Pour toujours ! Pour toujours !

» Va-t’en lutter, souffrir, penser,
» Sans plus repouvoir trépasser ! »

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Ce qui me désole, c’est que je traverse ces (page 3) cauchemars sans éprouver la moindre impression d’épouvante : il y faut la voix, l’altitude, la mimique de M. Rollinat ; et rien de cela ne survit dans le livre. Aussi, n’est-ce point par de tels morceaux, malheureusement nombreux, qu’il a quelque chance de plaire. Et non plus, certes, par ceux qui visent à la « philosophie », – parmi lesquels je signale une villanelle dans laquelle la cause première dévoile son mystère. C’est par les pièces les plus simples et les plus modestes, par celles qui chantent sans prétention la neige, les fleurs des champs, l’herbe, l’azur, les horizons, la pluie, les amours des papillons blancs et des scarabées. M. Rollinat est un bon observateur des choses : son œil les pénètre en se posant sur elles ; il sait écouter leurs voix intimes ; il les aime et il les comprend. Je voudrais pouvoir citer le joli morceau sur les fleurs des champs :

. . . . . . ces fleurs si douces
Qui s’harmonisent à la fois,
Au gris des rocs, au roux des bois,
Au vert des herbes et des mousses.

Les vers sont un peu lâchés, comme ils le sont dans tout le volume ; mais l’impression est si fraîche, si juste, qu’on en oublie certaines expressions d’une recherche malheureuse ou d’un fâcheux à peu près. Et il y a je ne sais quelle étrange complexité, bien « moderne », dans cette âme qui flotte de l’effroi de visions terrifiantes à la paisible contemplation des petites fleurs bleues, de l’angoisse de ses cauchemars à la sérénité de ses promenades. C’est là certainement qu’est le plus clair de l’originalité de M. Rollinat, c’est par ce trait qu’il peut encore plaire : le « rustique » fait pardonner au macabre, et l’on sait gré à celui-là des heures bienfaisantes qu’il procure à l’autre, pour sa joie et notre répit.

Edouard Rod

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Édouard Rod, né le 31 mars 1857 à Nyon et décédé le 29 janvier 1910 à Grasse, est un journaliste et écrivain suisse. Il arrive à Paris en 1878, fréquente Les Hydropathes, les cercles et salons littéraires, et le Chat Noir. Il a donc eu de multiples occasions de côtoyer et d’entendre Maurice Rollinat pendant sa période parisienne. De janvier 1885 à septembre 1886, il est le rédacteur en chef de La Revue contemporaine. Celle-ci publiera deux poèmes de Maurice Rollinat : « Le Mauvais Chuchoteur » (en août 1885, pages 521 et 522) et « La Pensée » (en février 1886, pages 186 à 191) – ceux-ci seront ensuite intégrés dans L’Abîme – et une présentation de L’Abîme par Adrien Remacle (en mai 1886, pages 126 à 130) avec des commentaires très positifs.

– 2 – La phrase « il passa pour avoir créé, comme Baudelaire, un frisson nouveau », fait référence à l’expression « Vous créez un frisson nouveau. » utilisée par Victor Hugo dans une lettre à Charles Baudelaire datée du 6 octobre 1859, à propos de son livre Théophile Gautier. Celle-ci a été mise en préface de cet ouvrage (pages I à III) (Théophile Gautier par Charles Baudelaire, notice littéraire précédée d’une lettre de Victor Hugo, Poulet-Malassis et de Broise libraires-éditeurs, Paris, 1859, III + 68 pages).

– 3 – Lorsqu’Édouard Rod écrit : « Je me rappelle une tête de lui, détachée du tronc, sans cou, la bouche grande ouverte, qui donnait la chair de poule. », peut-être fait-il allusion au portrait de Maurice Rollinat chantant par Gaston Béthune.

– 4 – Le livre Dans les brandes n’a pas été « envoyé » « de sa retraite », il s’agit d’une réédition de la version publiée en 1877 chez Sandoz et Fischbacher.

– 5 – Les vers « Du grand ennui de la pensée / Qui bâille devant l’inconnu » sont le début de la deuxième strophe du poème « Un misanthrope » (page 284). Le vers « L’ennui des arbres et de l’onde. » figure dans le même poème (page 285).

– 6 – Les vers « Mon âme exempte de tempête (…) En bon accord avec ma tête. » correspondent à la huitième strophe du poème « Un misanthrope » (page 286). Maurice Rollinat a écrit « avec ma bête » et non « avec ma tête ».

– 7 – Les vers « Le misanthrope eut froid (…) cette présence d’un homme. » correspondent à la fin du même poème (page 287).

– 8 – L’expression « un peuple de sangsues » est extraite du poème « Le cheval blanc » (page 93), « l’air crispé d’un grand spectre en démence » de « L’arbre mort » (page 180), « s’enfoncer dans le cou du patron » de « Dans une cuisine » (page 75), « comme une panthère » de « L’attaque nocturne » (page 62), « au fond d’un antique château » de « Vengeance d’outre-tombe » (page 30) et « que la tristesse ronge » de « Les treize rêves » (page 9)

– 9 – Les vers « Etant mort enterré, (…) Sans plus repouvoir trépasser ! » figurent dans l’avant-dernière strophe du poème « Les treize rêves » (pages 17 et 18).

– 10 – Les vers « ces fleurs si douces (…) des herbes et des mousses. » sont extraits du poème « Les fleurs des champs » (page 183).