Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Livre – Revue du monde littéraire

Onzième livraison du 10 novembre 1883

Pages 699 et 700 (vingt-septième et vingt-huitième du numéro).

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

COMPTES RENDUS ANALYTIQUES

DES PUBLICATIONS NOUVELLES

(…)

POÉSIES

(…)

(page 699) (…)

Dans les branches, Poèmes et Rondels, par Maurice Rollinat, avec un portrait de l’auteur par Jules Neige, reproduit par Dujardin. 1 vol. in-12. Paris, G. Charpentier ; 1883. – Prix : 3 fr. 50.

Le volume se ferme sur cette strophe. M. Maurice Rollinat commençait déjà, il y a quelques années, de ne goûter rien que l’horreur.

Rafales, ruez-vous sans mors !
Ronce, égratigne ; caillou, mords !
Nuit noire comme un drap des morts,

Sois plus épaisse !

Je ris de votre acharnement,
Car l’horreur est un aliment
Dont il faut qu’effroyablement

Je me repaisse !

Qu’il dise ses vers d’une façon absolument grotesque et tout éloignée de l’art véritable, nous ne voulons pas ici lui en faire un reproche ; et libre à lui de s’estimer heureux des applaudissements qu’il a emportés auprès des clichiens de notre époque, d’être satisfait parce qu’il a fait prendre conscience aux plus énervés des représentants de la jeunesse dorée d’un texte de vie encore, parce qu’il a secoué les nerfs des femmes, qui, écoutant les plus beaux vers, ne vont guère d’ordinaire jusqu’à sentir ce que le poète a senti, se laissant enchanter seulement par la musique des mots, et qui, entendant ses vers à lui, surprises par son geste, ses regards, ont éprouvé de très vives sensations. Nous ne pouvons pas toutefois nous défendre d’exprimer un regret, celui de voir un poète, vraiment poète, rechercher de tels succès par de tels moyens.

Mais il est sincère, diront quelques-uns ; ce n’est pas sa faute si, dans la nature, il ne voit rien que laideur et pourriture, si les sifflements de la vipère et les coassements du crapaud exercent sur son or-(page 700)ganisme des impressions, qui, persistantes, s’exaspèrent d’elles-mêmes ; il dit ce qu’il sent vraiment. Nous n’y contredisons pas ; nous admettons que son humeur, non une volonté réfléchie, calculée, d’éviter les sentiers battus, le fait côtoyer les marais à la vase infecte et puante. Mais nous exprimons un autre regret, c’est qu’il ait cette humeur-là ; lorsqu’il prend les chemins frayés, ou qu’il chante, triste ou à demi joyeux, des sentiments encore humains, il est le poète digne d’être aimé par les plus délicats

Est-ce que cette Confidence, n’est pas murmurée délicieusement ?

Tu me disais hier avec un doux sourire :
« Oh oui ! puisqu’il est vrai que mon amour t’inspire,

« Je m’en vais t’aimer plus encor !

« Que pour toujours alors, poète qui m’embrases,
« La fleur de l’idéal embaume tes extases

« Dans un brouillard de nacre et d’or ! »

Alors je comprenais le mystère des choses.
Ce verbe de parfums que chuchotait les roses

Vibrait tendre dans mes douleurs ;

Ce qui pleure ou qui rit, ce qui hurle ou qui chante,
Tout me parlait alors d’une voix si touchante

Que mes yeux se mouillaient de pleurs.

Toutes les autres strophes ont la même valeur.

Et que de jolis vers encore dans cette pièce intitulée Promenade champêtre !

… tous deux nous nous enfonçons
Dans la campagne ! et, champs, prairies,
Brandes, mares et métairies,
Tout ça rêve entre les buissons.
Intrigués par notre costume,
Les bœufs, avec un œil dormant,
Nous considèrent gravement
En léchant leur mufle qui fume.

Quelle profonde tristesse n’inspire pas cette autre pièce : la Neige !

Avec ma brune, dont l’amour
N’eut jamais d’odieux manège,
Par la vitre glacée, un jour,
Je regardais tomber la neige.

Elle tombait lugubrement,
Elle tombait oblique et forte.
La nuit venait et, par moment,
La rafale poussait la porte.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Aussi loin que notre regard
Plongeait à l’horizon sans borne,
Nous voyions le pays hagard
Dans son suaire froid et morne,

Et de la blanche immensité
Inerte, vague et monotone,
De la croissante obscurité,
Du vent muet, de l’arbre atone,

De l’air, où le pauvre oiselet
Avait le vol de la folie,
Pour nos deux âmes s’exhalait
Une affreuse mélancolie.

Et la neige âpre et l’âpre nuit
Mêlant la blancheur aux ténèbres,
Toutes les deux tombaient sans bruit
Au fond des espaces funèbres.

Dans le volume, beaucoup de rondels, et la plupart sont sans mérite ; mais il est plus d’un morceau d’un art aussi parfait, d’un sentiment aussi juste que ces pièces : la Neige, Promenade champêtre, Confidence.

L’excellent poète qu’eût pu être M. Rollinat !

F. G.

(…)

 

Remarques de Régis Crosnier :

– 1 – Il s’agit du livre Dans les Brandes et non Dans les branches.

– 2 – Les vers « Rafales, (…) Je me repaisse ! » sont extraits du poème « Où vais-je ? » (page 277).

– 3 – Que veut dire l’auteur lorsqu’il écrit « auprès des clichiens de notre époque » ? Évoque-t-il un habitant du quartier de Clichy à Paris ? Peu vraisemblable. Fait-il allusion aux membres de la Convention, lors de la Révolution française, opposés aux Jacobins et qui désiraient le retour de la royauté ? Peut-être ? Mais alors quel sens lui donner par rapport à la poésie de Maurice Rollinat ?
Doit-on pour comprendre ce terme de « clichiens », le rapprocher de l’expression qui suit : « parce qu’il a fait prendre conscience aux plus énervés des représentants de la jeunesse dorée » ? Ceux-ci pouvant alors jouer le rôle de « Jacobins » ?