Dossier Maurice Rollinat

 

MAURICE ROLLINAT DANS LA PRESSE

Portrait de Maurice Rollinat par Catherine Réault-Crosnier.

 

Le Rappel

Dimanche 11 mars 1883

Page 3.

(Voir le texte d’origine sur Gallica.)

 

 

LES LIVRES

LITTÉRATURE MÊLÉE

 

MAURICE ROLLINAT : Les Névroses (1 vol., Paris, G. Charpentier). (…)

 

Je me sens fort embarrassé pour parler de M. Maurice Rollinat ; car j’ai subi, comme tant d’autres, l’ensorcellement de son incomparable diction, l’ivresse de sa musique étrange, et quand je veux relire seul, des yeux seulement, les vers qu’il a récités et chantés, j’entends tinter cette double poésie de la voix et de l’instrument, au-dessus de la poésie des mots, du rythme et de la rime.

M. Rollinat croit procéder d’Edgar Poë et de Baudelaire ; je me sens à l’aise pour le rassurer et lui dire qu’il procède de lui seul ; et que bien loin de développer son originalité, Edgar Poë et Baudelaire la contrarient ; ce qu’il accorde à ses précurseurs le diminue. Sans eux, il eût toujours été poète, avec quelques influences en moins, avec la même habileté solide, et peut-être avec un ravissement plus libre devant la nature.

Je connais peu, dans la génération qui commence, d’artistes aussi attentifs, faisant tomber avec cette netteté l’idée dans la rime, ajustant aussi étroitement l’une dans l’autre, sans recourir au système de l’étoupe ou de la cheville.

Le Rappel a cité la jolie pièce des Frissons ; les lecteurs ont donc déjà senti ce que j’affirme. J’ouvre le livre, pour trouver un nouvel exemple, et je prends, au hasard de la découverte, ce sonnet :

LE GOÛT DES LARMES

A ma mère

L’Enigme désormais n’a plus rien à me taire,
J’étreins le vent qui passe et le reflet qui fuit,
Et j’entends chuchoter aux lèvres de la nuit
La révélation du gouffre et du mystère.

Je promène partout où le sort me conduit
Le savoureux tourment de mon art volontaire ;
Mon âme d’autrefois, qui rampait sur la terre,
Convoite l’outre-tombe et s’envole aujourd’hui.

Mais en vain je suis mort à la tourbe des êtres :
Mon oreille et mes yeux sont encor des fenêtres
Ouvertes sur leur plainte et leur convulsion,

Et dans l’affreux ravin des deuils et des alarmes
Mon esprit résigné, plein de compassion,
Flotte au gré du malheur sur des ruisseaux de larmes.

Ne sont-ce pas là de beaux vers, bien faits, bien sonnants, bien remplis, et, dans leur fierté, bien tendres et bien humains ?

Le volume des Névroses a beaucoup de pièces de cette valeur. Celle de la Peur est un chef-d’œuvre fantastique ; celle de la Vache au Taureau est une peinture, excellente dans sa crudité. Combien de vers aussi légers papillonnants, qui volent avec des parfums ? Combien d’aquarelles délicates, parmi ces toiles aux couleurs fortes, au dessin inflexible ? Le poète a la modulation aussi facile qu’il a la tonalité sonore.

M. Rollinat persistera-t-il dans cette allure macabre, qui surcharge son originalité réelle ? Son prochain volume débutera-t-il par quelque chose de semblable à son Memento quia pulvis es, pour finir par une variante de son De Profundis ? Je crois qu’il ne faut pas s’exagérer ces pactes faits avec les fantômes et la mort ; on les rompt, en avançant vers eux. Il semble, depuis nos révolutions, qu’en naissant poète, on naisse vieux ; c’est en vieillissant qu’on devient jeune ; car la sérénité qui se lève avec l’expérience, a des aurores printanières. Je m’en fie à M. Rollinat. Il a trop de talent, un sens trop pénétrant de la nature, une sincérité d’artiste trop profonde, pour se répéter, sur ce mode lugubre. Il l’a dit, dans le sonnet que j’ai cité, son âme s’envole. Elle aura bien vite fait de dépasser les nuées qui la caressent.

En attendant, saluons ce beau départ. C’est une belle chose que de chanter sur une belle lyre dont la primitive écaille de tortue est remplacée par un chef-d’œuvre de ciselure ! Cela ne donne pas l’inspiration ; mais cela ajoute à son prestige, et l’idée vibre mieux, dans un instrument infaillible.

(…)

LOUIS ULBACH.

 

Remarque de Régis Crosnier : Louis Ulbach connaissait Maurice Rollinat, il l’avait invité dans son salon. En effet, dans l’article « Bavardage » signé « Un Parisien », paru Le Radical du 29 octobre 1903, page 1, nous pouvons lire : « Je l’avais entendu, dans le salon de mon vieil ami Louis Ulbach, à l’Arsenal : il disait ses vers, (…). »